intérêts égoïstes. L’autorité qui sanctionne le jugement éthique ne cesse pas de résider en dehors de l’individu. Alors même que la conscience individuelle est en conflit avec le jugement public, ce n’est pas en son nom propre qu’elle décide contre le public, c’est au nom d’un public ou d’une autorité, non plus actuelle, mais possible, dont le jugement serait certainement celui du public actuel, s’il possédait des lumières suffisantes. L’autorité invoquée n’est pas un jugement qui est, mais un jugement qui devrait être. À ce jugement l’individu se sent tenu de se conformer, et il demande aux autres de s’y conformer. Il est à la fois le sujet de la règle, et le législateur qui la promulgue au nom d’une autorité invisible, mais avec laquelle il est en communion morale.
Ajoutons que cette règle est dans l’intérêt collectif du public réel. L’intérêt général est la source de ce qu’il y a d’impératif dans le sentiment éthique. C’est la voix de la communauté qui parle par ce sentiment après avoir contribué à le créer. Les moralistes anciens dont on ne saurait trop admirer les écrits, autant parce qu’ils ont créé la science de l’éthique, que parce qu’ils ont abordé cette tâche les premiers, sur un champ d’observation restreint, qui ne dépassait pas les limites du monde hellénique, sans modèle qui pût les inspirer ou les diriger, les moralistes anciens, Platon et les stoïciens eux-mêmes, prenaient pour point de départ de leurs systèmes éthiques le bonheur de l’individu. Ils recommandent tous de chercher le summum bonum et d’éviter le summum malum (entendant par ces mots le bien et le mal de l’individu) par les voies que le sage seul sait prescrire. Mais comme ils ne faisaient pas une distinction suffisante entre le bonheur individuel et le bonheur collectif, et que pourtant les préceptes du sage ne cessent de ramener au moins implicitement l’idée du bonheur commun sous la forme qu’elle pouvait réunir dans l’esprit grec ; comme aussi les exigences de la morale, montrant le summum bonum dans la pratique des actions réputées vertueuses, oppose au bien le plus immédiat de l’agent, une fin qui n’est pas spécifiée, il y a dans leurs écrits, même chez Aristote, une confusion qui ne se dissipe jamais.
Pour l’éviter désormais, il faut que le sage (nous dirions aujourd’hui le moraliste) examine la question au double point de vue de l’individu et de la société ; qu’il cherche quelles actions tendent à augmenter ou à diminuer le bonheur public, quelles tendent à augmenter ou à diminuer le bonheur de l’agent considéré à part, non point la satisfaction immédiate de ses penchants actuels, mais la satisfaction éloignée, et alors durable, de ses besoins permanents. Il doit considérer l’agent à un double point de vue, soit que l’agent