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James sully. — l’art et la psychologie

possèdent chacune isolément une certaine valeur, et que, pour se former une opinion vraie, il faut remonter à une conception plus élevée qui les embrasse et les concilie. Prenez, par exemple, la question récemment discutée avec tant d’ardeur si les arts d’expression, la musique et la poésie, sont absolument enchaînés par les conditions de la beauté, de la forme, ou si d’un autre côté ils doivent chercher uniquement à exprimer convenablement et fortement les différentes émotions, en observant les lois de la forme, seulement dans la mesure où celle-ci peut servir à l’expression. Il n’est pas nécessaire d’être un critique extraordinairement profond, pour s’apercevoir que chacune de ces opinions extrêmes sur les fonctions de la forme dans l’art est erronée, quoiqu’une réflexion psychologique attentive puisse seule nous amener à découvrir où gît l’erreur.

D’abord le psychologue aurait à rechercher les sources de la valeur esthétique de la forme extérieure. Dans ce but il aurait à examiner d’un côté la base organique de la distribution égale et rhythmique des impressions, dans la structure des organes des sens et les lois de l’action nerveuse, et de l’autre côté les influences qui peu à peu ont fait naître dans l’esprit de la race, à mesure que s’est développé l’instinct pour la coordination des objets de la perception. En second lieu, il aurait à prendre en considération le rapport psychologique naturel entre l’ordre dans la forme et l’expression dans l’émotion, c’est-à-dire la manière dont le rhythme du mouvement s’associe spontanément avec l’expression du sentiment dans la vie ordinaire.

En combinant ces deux séries de recherches, le psychologue arriverait probablement à la conclusion que la forme a une valeur intrinsèque, tout à fait en dehors de l’émotion qu’elle doit nous communiquer, mais qu’elle ne peut être réalisée au même degré de clarté et de perfection dans l’expression des différents genres d’émotion. Elle a besoin non-seulement de se plier à la nature de la matière, mais la matière peut encore être telle qu’elle résiste à tout effort pour l’enfermer dans un moule symétrique. Ainsi il trouverait moyen de justifier les poètes et les musiciens modernes, s’ils s’écartent quelquefois des lois convenues du rhythme et de l’arrangement mélodique, quand ils ont à exprimer ou bien une émotion comparativement privée de forme, telle que la colère ou bien une passion violente, qui, par son énergie même, défie toute contrainte inséparable d’un ordre quelconque.

Pour éclaircir encore ce point nous allons prendre un problème plus restreint de l’esthétique, à savoir quand et dans quelles conditions le comique peut être introduit avantageusement dans la tra-