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des châtiments pour les paresseux et les méchants ; elles chassent et châtient les frelons. » (IV, 81.) Éloge analogue des fourmis dont la prévoyance éclate dans les moyens qu’elles emploient pour se procurer des subsistances et les mettre en réserve. Elles viennent en aide à celles de leurs semblables qu’opprime un fardeau trop pesant, « Parmi les grains et les fruits qu’elles ont amassés, elles mettent à part ceux dont le germe commence à paraître, de peur qu’ils ne fassent germer les autres, et afin qu’ils leur servent de nourriture pendant toute l’année. » (IV, 83.) Celse ajoute que les fourmis vivantes assignent aux mortes un lieu de sépulture et que « ce sont pour elles les tombeaux des ancêtres », πάτρια μνήματα. « Se rencontrent-elles, elles causent, aussi ne se trompent-elles jamais de chemin. Elles possèdent donc la plénitude de la raison ; elles ont des notions communes de certaines choses générales, l’usage de la voix et la faculté de signaler ce qui arrive. » (IV, 84.) « Si quelqu’un regardait du ciel sur la terre, quelle différence apercevrait-il entre les ouvrages des hommes et ceux des abeilles et des fourmis ? » (IV, 85.)

Origène s’indigne, argumente, se moque de l’adversaire, mais il se borne à répéter que l’homme est le but de la création, que seul il possède la raison et que les bêtes n’ont qu’un aveugle instinct. C’est toujours, on le voit, la vieille distinction classique. Celse produit un argument qui, débarrassé de quelques exagérations ridicules, n’a encore rien perdu de sa force, je veux parler de la faculté que possèdent les animaux de choisir certains remèdes et de distinguer entre les végétaux qui peuvent leur être nuisibles ou utiles : « Si les hommes sont fiers de leurs connaissances dans la magie, les aigles et les serpents en savent en cela plus qu’eux. Ils connaissent nombre de remèdes contre les poisons et les maladies, et les vertus de certaines pierres qu’ils emploient à la guérison de leurs petits. » (IV, 86.) Origène ne nie point ces faits. Il croit que les serpents se servent du fenouil pour rendre leur vue plus perçante, leur corps plus souple et plus agile ; il est persuadé que les aigles, quand ils ont trouvé la pierre aétite, la transportent dans leur aire en vue de la santé de leurs aiglons. Un malencontreux passage du livre des Proverbes (XXX, 24-29) lui revient tout à coup en mémoire, passage où il est parlé de « quatre animaux très-petits et pourtant sages et bien avisés », les fourmis, les gerboises, les sauterelles et les lézards, mais Origène s’en tire à son ordinaire : il refuse d’entendre le texte à la lettre et pense que l’Écriture a ici désigné allégoriquement les hommes.

Celse, encore plus osé, mais toujours assez heureux en ses plus grandes audaces, touche ensuite un point de doctrine fort controversé à notre époque : l’existence du sentiment religieux chez les animaux. Darwin, on le sait, a retrouvé les semences de ce sentiment dans l’âme des bêtes. Tel penseur contemporain écrivait naguère que Dieu parle et se révèle surtout dans l’animal, dans le peuple et chez l’homme de génie. C’est la thèse même de Celse, qui l’exagère seulement et la