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nature et bannissaient toute téléologie, immanente ou transcendante, comme les darwinistes de notre époque. M. Kind a rappelé, dans son Introduction, que de tous les philosophes de l’antiquité, celui qui avait commencé à faire de l’homme le but et la fin des choses fut Socrate, puis Aristote. Avec la ruine de l’étude de la nature et le goût des spéculations morales, la théorie des causes finales fleurit de nouveau chez les stoïciens et chez les éclectiques. Mais c’est surtout par les religions que cette doctrine semble avoir été inventée. L’homme, se sentant devant son dieu comme un esclave devant son maître, ou comme un enfant en présence de son père, imagine naturellement que tout ce qui l’entoure est l’œuvre de cet être. Qu’on relise les deux histoires de la création dans la Genèse (I-II) : l’homme est créé au dernier jour ; Elohim le fait à son image ; il lui confère la domination sur toutes les créatures, lui annonce que les bêtes et les plantes lui sont données pour sa nourriture[1]. L’ennemie irréconciliable de cette façon de voir, dit très-bien M. Kind, est l’étude scientifique de la nature : celle-ci ne connaît pas de buts, de tendances, de conscience obscure des choses qui se fait et se réalise dans la nature, mais seulement des forces aveugles, un enchaînement fatal de causes et d’effets. Après le système du monde de Copernic, la théorie de la descendance et de la sélection de Lamark et de Darwin a pour toujours réduit à néant les « puériles explications » des cause-finaliers.

Celse soutient d’abord qu’il n’existe aucune différence entre le corps de l’homme, quant à la matière, le même principe de corruption dans l’un et dans les autres. » Ὕλη γὰρ ἡ αὐτή[2]. Il croyait que d’elle-même la matière dépouille certaines qualités pour en revêtir d’autres. En principe, Origène admettait avec son siècle la possibilité de la génération spontanée et de la transformation organique des êtres, par exemple, que la moelle épinière d’un cadavre humain il peut se former un serpent, d’un bœuf de abeilles, d’un cheval des guêpes, d’un âne des scarabées, des vers de la plupart des animaux en décomposition (IV, 57). Seulement Origène veut que ces transformations soient l’œuvre de Dieu, et, en outre, qu’un corps habité par une âme créée par Dieu soit plus parfait qu’un autre ; il ne saurait donc admettre que le corps d’un homme ne diffère en rien de ceux d’une chauve-souris, d’une grenouille ou d’un ver.

Voici quelques arguments de Celse contre la téléologie judéo-chrétienne : « Dieu a tout fait pour l’homme, disent les chrétiens. Mais, en s’appuyant sur l’histoire des animaux et sur plusieurs traits merveilleux de leur instinct, on peut prouver que toutes choses n’ont pas plus été faites pour l’homme que pour les animaux privés de raison (IV. 74). Le tonnerre, les éclairs, la pluie ne sont pas l’œuvre de Dieu. Quand même on accorderait qu’ils sont l’œuvre de Dieu, ces phénomènes ne

  1. Cf. le psaume VIII.
  2. Origen. Κατὰ Κέλσου. IV, 52. (Edit. Bened.)