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à celui-ci ; mais cette tentative est illusoire. Nous croyons l’avoir ailleurs abondamment montré[1].

III. — Rapports du sujet et de l’objet.

Une théorie assez originale sur les rapports du sujet et de l’objet, résume et couronne les doctrines psychologiques de M. Lewes.

M. Lewes maintient, avec le sens commun, une distinction fondamentale entre l’objet et le sujet; mais cette distinction n’existe, selon lui, qu’au point de vue psychologique proprement dit, nullement au point de vue psychogénique. La psychogénie trace l’évolution de la sensibilité dans le monde organique ; elle montre comment la conscience émerge de certaines conditions vitales particulières : il est clair que, pour elle, l’objet seul existe réellement ; c’est l’ordre extérieur qui détermine l’ordre intérieur en déterminant la structure organique dont la sensibilité est la propriété. Mais la psychologie laisse de côté la genèse de l’organisme ; elle le prend quand il est arrivé à son plein développement, et doit nécessairement le considérer comme un des facteurs dans le fait de la perception. À ce point de vue, on ne peut méconnaître l’existence du sujet, puisque la conscience n’est autre chose que le côté subjectif de l’organisme à un certain degré de son évolution. Mais si le sujet se distingue alors de l’objet, cette distinction n’est que relative ; elle s’évanouit dans l’absolu. Il n’y a pas un objet en soi, existant en dehors et indépendamment de toute relation avec le sujet, et entrant accidentellement en contact avec lui, sans que sa nature s’altère en rien dans ce commerce : l’objet n’existe réellement que par rapport au sujet ; il en réfléchit toutes les couleurs, il en est, en un sens, le produit : « La chose extérieure qui excite la rétine ne peut être supposée elle-même lumineuse ; elle est seulement un facteur du produit lumineux. La rétine, en l’absence de toute excitation, ne peut non plus être lumineuse ; elle n’est aussi qu’un facteur. Mais la lumière, — l’objet, — est les deux facteurs ; et ainsi l’objet est nécessairement objet-sujet, et le sujet est également sujet-objet. »

La théorie de M. Lewes se tient ainsi à égale distance du réalisme et de l’idéalisme. — L’idéalisme ne voit, dans le non-moi, qu’un produit, une projection du moi ; c’est une grave erreur ; il sacrifie absolument l’un des facteurs à l’autre. L’expérience le réfute à

  1. V. notre ouvrage sur la Morale utilitaire. Paris, Didier, 1875, in-8.