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l. carrau. — la philosophie de m. g. h. lewes

si l’animal sent et perçoit, il est incapable de concevoir ; le milieu social ne crée pas pour lui le langage, seul instrument de l’abstraction. Il n’a pour se guider que la logique des sensations ; il ne peut s’élever qu’à la connaissance des faits particuliers ; il observe, il juge, il n’explique pas. L’homme a de plus la logique des signes ; il observe, et explique l’enchaînement des phénomènes visibles par l’enchaînement des concepts invisibles.

L’animal est tout aussi peu capable de sentiments altruistes. Il est quelquefois mû par la sympathie ; mais les fins qu’il se propose sont toujours immédiates, jamais éloignées : à l’idée d’un bien général auquel doit se sacrifier dans certains cas le bien de l’individu, son étroit cerveau reste éternellement fermé.


Nous avons suivi avec une attention particulière le processus de l’intelligence, tel que l’expose M. Lewes. Il nous resterait à parler de celui de l’activité. Sur ce point, sa pensée nous a paru moins nette. — Toutes les manifestations de l’activité semblent dériver, selon M. Lewes, de phénomènes réflexes, mais tantôt la réaction suit immédiatement l’impression sensible : le mouvement alors est involontaire ; tantôt elle est le dernier terme du processus intellectuel, alors le mouvement est facultatif et peut être appelé volontaire. L’instinct appartient plutôt à l’intelligence qu’à l’activité ; M. Lewes n’y voit, d’accord avec MM. Darwin et Spencer, qu’un ensemble de faits intellectuels, que l’habitude a peu à peu rendus purement mécaniques, et qui sont devenus des expériences innées, transmises héréditairement à travers des générations innombrables.

M. Lewes insiste sur la nécessité de ne pas méconnaître la solidarité indissoluble qui unit les différents ordres de faits psychiques. C’est là ce qu’il désigne par l’expression assez bizarre de spectre psychologique. « Le spectre optique est constitué par trois couleurs fondamentales, le rouge, le vert, le violet, qui sont dues à trois modes de vibrations affectant les bâtons et les cônes de la rétine : chaque couleur contient toutes les vibrations qui caractérisent les autres, et, conséquemment, chacune doit son individualité, non pas à des vibrations qui manquent pour les autres, mais à la prédominance d’un certain ordre de vibrations. De même le spectre psychologique est constitué par trois modes fondamentaux d’excitation : la sensation, la pensée, le mouvement. Le processus psychique est partout un triple processus, et toutes les variétés qui distinguent les différents états mentaux sont dues à des degrés variables de l’énergie avec laquelle coopèrent la sensation, la pensée et le mouvement. Chaque état mental est ainsi une fonction de trois variables. » Cette