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l. carrau. — la philosophie de m. g. h. lewes

perception, ou formation d’idées particulières par la synthèse de sensations. Les conceptions ne sont pas plus semblables aux objets réels que les formules algébriques ne sont semblables aux nombres dont elles symbolisent les relations. Notre perception d’un animal cru d’une fleur est la synthèse de toutes les sensations que nous avons eues de l’objet en relation avec nos différents sens, et c’est toujours un objet individuel représenté par une idée individuelle ; c’est cet animal ou cette fleur. Mais notre conception d’un animal ou d’une fleur est toujours une idée générale ; elle n’embrasse pas seulement tout ce qui est connu on pensé du genre tout entier dans toutes ses relations, mais elle est abstraite de tous les caractères individuels ; elle n’est pas cet animal ou cette fleur, mais n’importe quel objet du. genre animal ou fleur : de même qu’en algèbre a et b ne sont pas des quantités ni des grandeurs, mais leurs symboles. Les perceptions ont une relation directe avec les termes de la sensation ; les conceptions, avec les relations de ces termes. De là la nature réelle des unes et la nature symbolique des autres. »

La connaissance ne commence vraiment qu’avec la conception, signe de toute une classe de perceptions, et l’enchaînement, la synthèse des conceptions constitue la logique des signes. Elle est l’œuvre du langage ; car tout mot est un abstrait. Mais l’éclosion du langage n’est possible que dans le milieu social ; et ainsi l’homme isolé est incapable de penser parce qu’il est incapable de parler. Le milieu social ne crée pas seulement l’intelligence proprement dite ; c’est lui qui dans l’ordre des affections, donne naissance aux tendances impersonnelles, sympathiques, altruistes. De là, la vie morale, fondée tout entière sur la sympathie. Vivre de cette vie nouvelle, c’est sentir pour autrui, travailler pour autrui, aider autrui, sans avoir en vue aucun bien personnel, sans autre souci que la satisfaction de l’instinct social. « Nous connaissons que notre faiblesse nous est commune avec tous les hommes, et ainsi nous partageons les souffrances de chacun. Nous sentons la nécessité de nous entr’aider et par là nous sommes disposés à travailler pour les autres. Les impulsions égoïstes nous portent vers les objets seulement en tant qu’ils sont des moyens de satisfaire un désir. Les impulsions altruistes, au contraire, ont plus besoin de l’intelligence pour comprendre l’objet lui-même dans toutes ses relations. D’où il suit qu’une immoralité profonde est une pure stupidité. »

C’est donc dans l’organisme social que nous devons chercher les principales conditions des fonctions d’ordre supérieur, et c’est le milieu social des croyances, des opinions, des institutions, qui constitue, pour ainsi dire, l’atmosphère respirée par l’intelligence. L’homme