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l. carrau. — la philosophie de m. g. h. lewes

qui, opérant sur ces données sensibles, les transforment en abstractions et en généralisations d’ordres divers ; comme lui enfin, il se refuse à admettre que l’esprit humain puisse pénétrer au-delà. Ce qu’il appelle métaphysique ne différant que par le degré de la science positive, les résultats auxquels elle peut conduire ne sont en définitive que la sensation transformée. Il importe assez peu qu’on change la phraséologie, qu’une abstraction devienne un symbole, et que les généralisations les plus hautes s’appellent symboles de symboles ; au fond, et par son objet et par sa méthode, la métaphysique, telle que la conçoit M. Lewes, n’est qu’une suite de la sensation ; elle en sort et y retourne. Je veux que M. Lewes ait agrandi le cercle étroit dans lequel le positivisme de Comte prétend enfermer la science, et qu’il y ait fait rentrer des problèmes arbitrairement proscrits, ceux, par exemple, qui ont pour objet la matière, la force, la cause, l’esprit, etc. ; c’est un progrès peut-être à l’égard de la philosophie de Comte : je ne vois pas que c’en soit un à l’égard de la philosophie de Locke.

Toutes ces notions métaphysiques, en effet, M. Lewes, comme Locke et le sensualisme, les résout en données expérimentales. La matière n’est pour lui que la totalité abstraite des qualités sensibles ; la force, c’est la matière en tant qu’elle produit des changements dans la sensibilité ; la cause est un ensemble de conditions ; l’esprit, une collection d’états de conscience.

Que ces définitions soient vraies ou fausses, là n’est pas, pour le moment, la question. Ce que nous voulions établir, c’est que la théorie de M. Lewes n’a rien de bien nouveau, et qu’il supprime la métaphysique, tout comme l’avaient fait Locke et son école. M. Lewes nous répond qu’en, dehors d’une métaphysique vérifiable par l’expérience, il n’y a plus que le métempirique, c’est-à-dire l’inconnaissable pur : mais nous lui demanderons, avec M. Léon Dumont, s’il a tracé avec une suffisante précision la limite qui sépare l’ordre métaphysique de l’ordre métempirique. Ici sa pensée est restée indécise ; tantôt il affirme que le métempirique est absolument et à jamais distinct de ce qui peut être connu positivement ou métaphysiquement ; tantôt il reconnaît qu’un problème, aujourd’hui métempirique, pourra plus tard, par un progrès de l’expérience, être scientifiquement posé et résolu. Évidemment ce point de la doctrine a besoin d’être éclarci.

M. Lewes semble bien reléguer dans les impénétrables régions du métempirique et exclure ainsi de la science la plupart des questions qu’agite depuis près de trois mille ans la métaphysique traditionnelle, et peut-être n’a-t-il pas démontré que cet éternel effort soit