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Nous rendons cette justice à M. Schasler qu’il n’a pas commis cette faute, à l’égard de l’antiquité. Il lui reconnaît le droit d’être une époque à part, réelle et distincte dans la science dont il retrace l’histoire. Il lui a consacré une longue et sérieuse étude. Il est vrai que sa méthode lui en faisait une loi. La dialectique l’a emporté sur les suggestions du patriotisme. Elle lui ordonnait d’établir à priori trois époques. Il eût été un peu à l’étroit dans le champ, si vaste qu’il soit, de l’esthétique allemande. Platon, Aristote et leurs écrits sont bien loin, distants de tant de siècles. Un grand espace vide, le moyen âge et les deux siècles suivants, les séparent de nous. Il n’en sera pas de même des débuts de l’esthétique moderne, quand il s’agira des écrivains du xviie siècle qui se sont mêlés de ces questions sur les arts et le beau. Il sera plus facile d’en nier l’importance, sinon de se les approprier.

L’antiquité reconnue comme formant une véritable époque, l’auteur devait l’étudier et la juger avec tout le soin et les détails qu’elle mérite. Et c’est ce qu’il a fait en se servant des travaux de ses prédécesseurs. (Ed. Muller.) Trois grandes figures y apparaissent auxquelles se rattachent toutes les autres, Platon, Aristote, Plotin.

Le chapitre consacré à Platon et à l’esthétique platonicienne est loin de nous satisfaire. Platon est le véritable fondateur de l’esthétique. Cette science du beau et de l’art a chez lui son origine. L’auteur du Phèdre et du Banquet en a le premier agité les plus hauts problèmes et posé les bases. Sa doctrine, on ne peut le nier, a exercé une très-grande influence dans toute son histoire. Elle y occupe une place immense, aujourd’hui encore elle est sans cesse rappelée et invoquée. Il semble que M. Schasler ne l’ait pas compris ou l’ait oublié. Il ne voit chez Platon que les défauts de sa théorie et de sa manière ; le grand côté lui échappe. Son antipathie pour tout ce qui est abstraction pure, ou idéal abstrait, et pour ce qui ressemble au mysticisme, l’aveugle et le rend injuste envers le père de la science dont il retrace le développement. C’est une tache dans son livre, pour nous un défaut capital. On peut ne pas adopter la doctrine platonicienne sur le beau et l’art, en voir et en signaler les défauts, trouver très-extraordinaire tout ce que dit de l’art et des artistes, des poëtes en particulier, l’auteur de la République, lui si grand artiste et si grand poète, mais encore plus grand moraliste. On peut aussi trouver à redire à sa méthode et à la forme du dialogue, en blâmer les longueurs, rejeter cette forme de discussion comme transitoire et non définitive. L’abus du langage poétique, malgré son charme dans ces matières, peut déplaire. Tout cela ne ressemble en rien, en effet, à la dialectique et au rhythme hégéliens. Dans Platon, il y a, je l’avoue aussi,