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la genèse ou le développement de l’idée. Le fait-elle ? Est-ce bien ce qui est possible avec une pareille division et une semblable méthode ? Cette division est prise, il est vrai, dans les modes de la pensée humaine. Ce n’est toujours que le côté formel qu’elle représente. Le contenu réel qu’elle recèle y apparaît-il ? Il y aura des doctrines dues à l’intuition, d’autres à la spéculation ; cela ne dit pas ce qu’elles contiennent et les solutions données aux problèmes. Le fond des systèmes, ce qu’ils représentent, est voilé, caché, sous ce manteau dont ils sont affublés ou travestis. L’histoire n’atteindra pas son vrai but, la genèse de la conscience esthétique.

Heureusement l’auteur, dans son exposé et sa critique des systèmes, sera infidèle à sa méthode. Il oubliera le cadre où sa pensée s’emprisonne. Il s’efforcera, je m’empresse de lui rendre cette justice, d’entrer et de nous faire entrer avec lui dans le véritable esprit des doctrines qu’il retrace, de suivre la marche et la filiation des idées en pratiquant le vrai procédé génétique. Mais partout on sent combien ce cadre le gêne et lui est incommode. Sous cette armure pesante qui paralyse ses mouvements, il est exposé à bien des faux pas. Il est obligé de s’arrêter sans cesse pour reprendre haleine et renouer le fil qui risque de se rompre dans ses mains. Cette méthode qui l’expose à méconnaître la nature des systèmes ne devra-t-elle pas aussi fausser son jugement et nuire encore plus à sa critique ? Il y aurait ici une multitude d’objections à lui faire sur l’emploi qu’il fait de cette dialectique quant à la suite et à l’enchaînement des doctrines, sur les interprétations et les jugements qu’elle lui suggère par la nécessité où il est de faire rentrer les doctrines dans les rouages de ce mécanisme artificiel.

Avant de signaler les endroits qui, sous ce rapport, laissent à nos yeux le plus à désirer, il convient d’appeler l’attention sur un point qui ne manque ni d’importance ni d’intérêt, le vrai commencement de cette histoire.

L’auteur a-t-il raison de consacrer à l’antiquité toute une époque, de s’y arrêter aussi longtemps qu’il le fait, d’en exposer avec soin et en détail d’une manière approfondie les principales doctrines ? Ne fallait-il pas, comme son prédécesseur Robert Zimmermann, et comme en sont d’avis plusieurs de ses compatriotes, en faire un simple antécédent (Vorstuf), ou une introduction (Einleitung, Einführung), à l’esthétique comme science, qui commence à Baumgarten avec la seconde moitié du xviiie siècle[1] ?

  1. Entwicklung des philosophische Begriff von Schönen und von der Kunst von den Griechen bis zur Einführung des Æsthetik als besonderer Wissenschaft durch Baumgarte. — 1750.