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delbœuf. — logique algorithmique.

en seraient indiscutables et n’auraient jamais été mises en doute. Est-ce le cas ? Ce n’est pas ici le lieu de reprendre cette question dans tous ses détails. Il suffit pour le moment de rappeler que les axiomes et les définitions de la géométrie, notamment celles de la droite, de l’angle, du plan, et des figures semblables, ont été l’objet de critiques tellement fondées qu’un jour viendra où on les abandonnera tout à fait pour en accepter d’autres. La même observation s’applique à la mécanique et à ses définitions des notions de mouvements, de vitesse, de temps, qui en constituent les fondements[1].

II. — De la nature de la démonstration.

Aucune des explications qui viennent d’être rappelées n’ayant résolu le problème, force est bien de le reprendre par un autre côté et d’examiner si cette différence entre les sciences mathématiques et les sciences dites expérimentales tient à leur objet ou seulement à leur degré de développement.

Cette discussion, déjà ancienne, a recommencé avec plus de vivacité, vers le milieu de ce siècle, à l’occasion du système de Logique de Mill, et, il faut bien le reconnaître, quoiqu’on ne puisse adopter toutes les assertions de l’auteur anglais, les partisans de l’apriorité n’ont pas eu l’avantage. Ils ne se recrutent plus aujourd’hui que

  1. J’ai discuté les fondements de la Géométrie dans un ouvrage intitulé Prolégomènes philosophiques de la Géométrie (Liège et Leipzig, 1860), et incidemment ceux de la mécanique dans mon Essai de Logique scientifique (1865). Ceci était écrit avant que j’eusse eu connaissance de la Géométrie de M. J. F. V. Gérard, que l’auteur m’a envoyée tout récemment (The elements of Geometry, or first step in applied Logic, Longmans, London, 1874, dans les Advanced series de Morell.) Il me cite dans la préface ; et dans les lettres qu’il m’a écrites à ce sujet, il veut bien reconnaître l’influence que la lecture de mes Prolégomènes a exercée sur son ouvrage ; seulement il ne les a connus que lorsque les deux premiers livres de sa Géométrie étaient déjà sous presse, et il a dû faire les remaniements sur les épreuves, ce qui d’ailleurs est manifeste. En Angleterre, comme chacun sait, on suit encore la géométrie d’Euclide qui, du reste, au point de vue de la rigueur logique, me paraît surpasser celle de Legendre et celle de M. Blanchet. Avant déporter un jugement motivé sur le livre de M. Gérard, il faudrait l’avoir lu très-attentivement, et je n’en ai pas encore eu le temps, je n’ai fait que le parcourir. J’ai cependant été frappé de l’ordre qu’il a mis dans ses propositions (ordre qui fait défaut dans Euclide), de la manière dont il a soigné leur enchaînement, quoique la théorie des parallèles me semble manquée ; du choix judicieux qu’il a fait entre les corollaires ou les modifications des théorèmes principaux, et j’ai surtout remarqué l’introduction où il a réuni les axiomes et les définitions de la géométrie, et les théorèmes dont la connaissance est indispensable pour les développements successifs des principes. Si donc le livre de M. Gérard finit par détrôner Euclide et vaincre la routine, mes prévisions, et je dirai, mes vœux, se trouveraient réalisés bien plus tôt que je ne me le figurais.