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Mais nous avons hâte d’arriver aux objections de fond, aux principales du moins. M. Dedouits croit (p. 9 et 278 à 285) réfuter suffisamment la doctrine des catégories, en dérivant l’objectivité des autres jugements à priori de l’objectivité, qu’admettrait Kant, du seul principe de contradiction. « Le principe fondamental de la raison humaine, le principe de contradiction est accepté par Kant comme objectif et absolument valable ; cette concession est plus importante qu’il ne suppose ; car l’analyse de ce principe nous découvre qu’il implique tous les autres axiomes de la raison » (p. 9). Mais le principe de contradiction, au sens où le prend Kant dans la critique, n’exprime qu’une nécessité logique de ma pensée : il ne me fait pas sortir de moi-même ; il ne me dit rien de l’existence du non-moi, rien de la réalité empirique non plus que métaphysique. Dans une analyse ingénieuse, mais subtile (p. 281), M. Desdouits en fait sortir le temps, l’espace, le parfait, la causalité, la finalité, bref, tous les. jugements à priori : mais il est obligé de reconnaître lui-même (p. 279), quoique sa pensée manque de précision sur ce point et semble même se contredire, qu’il n’analyse plus, mais fait de la synthèse. C’est en vain qu’il cherche à s’autoriser de l’Essai sur l’unique démonstration de Dieu. La catégorie de la possibilité avait dans cet ouvrage une valeur, une signification, qu’elle n’a plus dans la philosophie critique. Kant l’entendait alors, au sens aristotélique, comme un principe à la fois métaphysique et logique, objectif et subjectif, comme une loi de la pensée et de la réalité : elle n’exprime plus maintenant qu’une loi du sujet, qui n’engage que lui, et ne lui apprend rien ni de la loi des autres intelligences, ni de celle de la réalité. — M. Desdouits n’insiste pas moins longuement, mais sans plus de succès selon nous, sur une autre objection. Kant, dit-il, déclare les catégories subjectives, parce qu’elles sont universelles et nécessaires. Mais si elles sont nécessaires, comment peuvent-elles être les formes de ma pensée qui est contingente ? M. Desdouits oublie que le moi de la pure aperception, le reine ich, qui produit les catégories, n’est rien moins qu’un moi empirique contingent. Il reproche à Kant de chercher dans un besoin accidentel de l’esprit la déduction de l’objectivité des principes à priori (p. 297). Il ne voit pas que les catégories reposent en dernière analyse sur la spontanéité de la raison, ne sont que des actes de la liberté morale du moi ; et que le ich denke, qui les produit, n’est, au fond, qu’une fonction du ich solle : — C’est pour n’avoir pas compris cela que M. Desdouits reproche à Kant de séparer la raison théorique et la raison pratique. La théorie du Primat aurait dû lui apprendre que Kant ne les oppose pas, mais les subordonne l’une à l’autre. C’est dénaturer le sens de sa philosophie, que de ne voir en elle que les réserves spéculatives de la critique de la raison pure. Au fond, la critique repose sur un dogmatisme moral, aussi décidé que quelque dogmatisme que ce soit. Et c’est ce qui explique que Fichte, Schelling, Hegel, etc., aient si aisément fait sortir de la critique une métaphysique nouvelle. M. Desdouits reconnaît sans doute cette prédominance de la raison pratique