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arrache trop souvent au timide interprète : « quelle logomachie ! » p. 39, « assertion bizarre ! » p. 130 ; « n’est-ce pas un non-sens absolu ! » 141. Il est vrai que la Critique de la raison pure a seule, à peu près, le fâcheux privilège de troubler ainsi le calme du critique ; et que l’auteur retrouve tout son sang-froid dans l’analyse des deux autres parties de l’œuvre.

Entrons maintenant dans l’exposition que nous donne M. Desdouits de la philosophie de Kant.

Un chapitre préliminaire est consacré à l’étude des origines de la doctrine critique, et aux premiers ouvrages de Kant. Outre que cette revue d’une œuvre qui remplit 34 années (1747 à 1781) nous parait trop brève et très-insuffisante, comment M. Desdouits peut-il soutenir (p. 19) que « pour trouver la première manifestation de la pensée sceptique, dont la critique de la raison pure sera le développement, il faut aller jusqu’en 1770, » jusqu’à la thèse inaugurale, de mundi sensibilis atque intelligibilis forma et principiis. Mais l’Essai sur les grandeurs négatives de 1763, et le mémoire couronné de 1764 sur l’évidence des premiers principes de la théologie et de la morale, portent des traces très-évidentes de l’influence de Hume, et accusent une défiance profonde à l’endroit de la métaphysique, surtout à l’égard des affirmations à priori. — M. Desdouits explique la contradiction des deux parties de la thèse inaugurale, le caractère critique de la première, et le caractère dogmatique de la seconde, par ce fait que Kant n’a pas encore songé en 1770 (p. 24) à faire reposer sur la foi morale la certitude de la liberté, de Dieu, de l’immortalité, auxquels il est pourtant aussi attaché que jamais. Mais la conclusion du traité sur l’unique démonstration de Dieu, 1763, et de l’écrit sur les songes d’un visionnaire, 1766, attestent déjà que la foi morale parait à Kant suffisante pour établir ces vérités, indépendamment de toute démonstration théorique (voir Kant’s Werke, t. 2, p. 205, éd. Hartenstein).

Après avoir ainsi très-brièvement exposé les antécédents de la philosophie critique, M. Desdouits aborde l’analyse des trois grandes critiques.

Nous avons à relever dans l’exposé de la critique de la raison pure un certain nombre d’inexactitudes. « Les phénomènes, lisons-nous p. 45, sont la matière de la sensibilité. » C’est là une erreur grave. Les phénomènes (Erscheinungen) résultent de la réduction des sensations aux formes à priori du temps et de l’espace : ils naissent de l’association d’un élément à posteriori, la sensation, et d’un élément à priori, l’intuition pure. Ils sont, en un mot, non la matière, mais les produits de la sensibilité (voir p. 56 et 72 Kant’s W., t. 3, éd. Hartenst.).

Nous trouvons excessive l’interprétation donnée, même page 45, au paragraphe qui forme la conclusion de l’esthétique transcendantale. Les intuitions pures, selon M. Desdouits, sont précisément le lien qui réunit le sujet à l’objet dans les jugements synthétiques à priori. « Par une intuition du temps, nous apercevons un lien nécessaire entre le phé-