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ch. bénard. — l’esthétique de max schasler

saisis et habilement dessinés. Ce qu’il y a d’exclusif, de borné, d’injuste, de faux, de prétentieux dans chacun d’eux est exactement reproduit et mis en relief. On voit que l’auteur a vécu avec tous les hommes, qu’il les a tous connus et pratiqués. Il n’a pas résisté au plaisir d’en dessiner le portrait. Le mode de classification qu’il adopte et la dialectique qu’il emploie offrent plus à reprendre. Je dirai plus, le sérieux avec lequel « tous ces modes de la connaissance esthétique » représentés par de tels personnages, sont classés, rangés, échelonnés, se transforment les uns dans les autres, et cela pour obéir au procédé ternaire de la marche dialectique, nous met en défiance contre le futur historien. Cela fait craindre un peu pour les systèmes. Lui-même a-t-il su échapper à tous les travers qu’il décrit ? Ne doit-il pas s’attendre à quelques représailles ? Il y aurait peut-être un dernier portrait à ajouter à tous ceux qu’il a si bien dessinés. Ce serait celui du dialecticien qui, après avoir signalé impitoyablement les inconvénients de la dialectique, lui-même y succombe ; qui s’ingénie à trouver des transitions, des transformations, des métamorphoses, là où il faut voir des coexistences ou l’action de causes extérieures et les travers habituels de l’esprit humain. On sourit à le voir monter par un effort pénible d’échelon en échelon tous les degrés de cette échelle que lui-même a construite ; poser, opposer, concilier des choses et des hommes qui simplement existent côte à côte les uns des autres, sans même trop se coudoyer. On est fâché de voir ainsi se discréditer dès le début cette méthode qui doit présider à un aussi grand travail que l’exposé et la critique des systèmes dans l’histoire de cette science. Une telle gravité a pour nous quelque chose de pédantesque qui peut prêter au ridicule.

Nous voulons en donner un échantillon.

Après avoir vu passer devant nous le laïque, l’artiste, l’amateur ou l’ami des arts, le connaisseur, le collectionneur, on arrive au marchand. L’ironie du marchand contre l’idéal nous paraît déjà un morceau comique. Le logicien vulgaire demandera aussi comment le marchand de gravures, d’estampes ou de tableaux est au-dessus du connaisseur et même du collectionneur ; mais passons. Vient à la suite le commissaire priseur, l’enchérisseur (Auctionator) qui vend ou met à prix les objets d’art et disperse les plus belles collections. Il représente l’ironie cruelle du destin, l’ironie tragique, la vengeance du génie de l’art. C’est l’homme du jugement dernier, sa mission est d’être le ministre du destin. En lui, apparaît la Nemésis de l’art, le fatum. — Du reste, le collectionneur le sait. Il sait que l’arrêt du destin pèse sur sa collection. Elle doit être vendue et dispersée. Il n’y a pour lui qu’un moyen d’échapper au sort qui l’at-