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analyses. — p. janet. Les Causes finales.

requérir à tout instant l’intervention d’un Deus ex macchina ? Ce n’est pas restaurer les causes occultes depuis longtemps bannies, c’est uniquement suivre le raisonnement analogique sans lequel nous ne saurions rien de la finalité hors de nous. Nous devons donc conclure que les choses se passent comme si une sagesse suprême avait réglé l’ordre des choses. C’est la manière la plus haute et la plus intelligible de se représenter la cause première de la finalité. Nous n’avons pas une intuition de l’absolu, la notion que nous pouvons nous en faire n’est qu’approximative, mais il faut pousser l’approximation le plus loin possible, en tenant un compte rigoureux des deux données du problème : les faits à expliquer et la nature de l’absolu. En ce sens l’intelligence est la cause la plus élevée et la plus approchante que nous puissions concevoir d’un monde ordonné ; « toute autre cause, hasard, lois de la nature, force aveugle, instinct, en tant que représentations symboliques, sont au-dessous de la vérité. »

Mais ici une dernière difficulté se présente. Si, avec Hegel, on appelle pensée l’essence intérieure et rationnelle des choses, on peut, tout en admettant que la finalité a sa cause dans la pensée, ne voir en elle que la finalité logique du concept, de l’idée pure, antérieure à la conscience. Toute idée, en effet, contient au même titre qu’une œuvre d’art ou un être vivant une finalité intérieure, une coordination des parties au tout. Le monde entier serait alors considéré comme un enveloppement de concepts, qui se développeraient en vertu de leur finalité intrinsèque, et la cause de cette finalité, bien qu’intelligible, redeviendrait immanente et inconsciente. M. Janet n’accepte pas le point de départ de Hegel ; a ses yeux une vérité sans aucun rapport à la conscience n’est qu’une vérité formelle, c’est-à-dire une vérité en puissance ; l’idée absolue doit par suite être en même temps intelligence absolue, dès lors le monde dérivant de l’idée considérée tout entière, intelligible et intelligence, objet et sujet tout ensemble, il est permis de dire que c’est l’intelligence qui a fait le monde. « Dès lors la finalité est intentionnelle, car l’intelligence ayant fait le monde conformément à l’idée qui est elle-même, connaissant le but, connaît à la fois tous les degrés qui conduisent au but ; et ce rapport des connaissances subordonnées à la connaissance finale et totale est ce que nous appelons en langage humain, prévision et intention, en un mot sagesse. » Quant à la création des idées dans l’intelligence absolue, nous ne pouvons en avoir qu’une conception symbolique. Le commentaire le plus achevé que nous en offre la nature, c’est le génie créateur de l’artiste, « dans lequel la faculté de combiner et de prévoir est contenue en même temps qu’elle est absorbée par une puissance plus haute. » Ainsi le problème à résoudre étant le lien du présent avec le futur, le concept conscient, supérieur au concept purement logique qui lui-même est supérieur à la tendance, supérieure elle-même au mécanisme, nous en fournit la solution : là s’arrête notre pensée ; au-delà s’ouvre le domaine de l’inconnaissable.