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rendre compréhensible et connaissable. C’est à cette condition seulement que la doctrine platonicienne, d’inextricable qu’elle était, devient claire et lumineuse.

Certes, dans l’état de nos connaissances, et avec nos habitudes classiques, cette interprétation de la théorie des idées paraîtra discutable ; elle a du moins le mérite d’être singulièrement originale. Dans les temps modernes, le système de Kant lui-même est impuissant contre le sensualisme. Le tort de cet éminent philosophe est de n’avoir point fondé son système sur une vérité nécessaire de raison : il s’est trouvé par suite dans l’impossibilité de montrer que la conception des choses en soi (Dinge an sich) est contradictoire : si les choses en soi ne sont pas contradictoires, si du moins on n’a pas démontré qu’elles le sont, quelle contradiction y aurait-il à admettre la possibilité d’impressions sensibles — d’intuitions, comme il les appelle ? Or, si elles n’impliquent pas contradiction, elles sont intelligibles à quelque degré ; elles sont rendues seulement plus claires quand elles revêtent une des formes de la sensibilité (temps ou espace), ou quand elles sont soumises aux catégories de l’esprit ; elles ne sont pas par elles-mêmes absolument un non-sens. Kant, en un mot, n’a pas établi une différence de nature, mais seulement une différence de degré entre les sens et l’intellect ; il n’a pas proclamé que toute connaissance est une connaissance intellectuelle, — qu’une connaissance purement sensible est contradictoire ; or, c’est là la seule distinction que l’on doive faire, si l’on veut triompher du sensualisme. Il faut reconnaître cependant que Kant s’est approché plusieurs fois de la vérité ; mais il a subi, lui aussi, la funeste influence de cette fausse interprétation de l’analyse platonicienne qui a fait prendre les éléments de toute connaissance pour des genres distincts.

En résumé, il est faux de dire que les sens et l’intellect peuvent chacun séparément nous donner des idées ; ils ne forment ensemble qu’une seule faculté, et nous ne connaissons qu’autant qu’ils opèrent simultanément.

Avec la onzième proposition, nous passons à de nouvelles considérations :. « Cela seul peut être représenté à la pensée qui peut être présenté dans la connaissance : en d’autres termes, il est impossible de penser ce qu’il est impossible de connaître, ou, plus explicitement, il est impossible de penser ce dont la connaissance n’a fourni et ne peut fournir le type en aucune manière. » Si la représentation est, en effet, la reproduction dans la pensée de ce qui a été présenté une première fois dans la connaissance, cette proposition s’établit d’elle-même, sous peine de contradiction. Elle nous