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suivre avec attention le reste de l’entretien, pour constater que l’esclave, à moins de lui supposer le génie de Pascal, n’aurait jamais trouvé de lui-même, ni l’idée que le diamètre du carré est la ligne qui donnera une surface double, ni la construction qu’on lui indique pour rendre cette vérité sensible. Socrate enseigne ce qu’il sait, pour l’avoir appris de ceux qui l’avaient supposé et vérifié ; et lorsqu’il fait dire à Ménon que l’esclave « a toujours parlé de lui-même » et n’a énoncé que « des opinions qui étaient en lui[1], » il se trompe assurément, et confond ce que l’esclave a reconnu, en étant guidé par un maître, et ce qu’il aurait pu trouver par lui-même.

C’est ainsi que, dans les sciences mathématiques, la démonstration fait oublier l’hypothèse nécessaire pour poser la thèse à démontrer. La vérification expérimentale produit dans les sciences de faits une illusion de même nature. Un savant fait une expérience qui permet d’observer directement un phénomène ; on oublie que la constatation expérimentale n’est venue qu’après la supposition qu’elle avait pour but de vérifier. Il est facile d’établir que le son résulte des vibrations de l’air atmosphérique, et l’on peut croire que cette vérité a été le résultat immédiat et direct des observations et des expériences par lesquelles on la démontre aujourd’hui. Il n’en est rien. Au xvie siècle encore, on rencontre des savants qui considéraient la sonorité comme une propriété spéciale, comme une sorte d’existence en soi[2], Otto de Guéricke, à l’aide de la machine pneumatique qu’il avait inventée, prouva que le son ne se communique pas dans le vide. On admit dès lors, sans contestation, la vérité de l’hypothèse fort ancienne, puisqu’on la trouve déjà dans Sénèque[3], qui fait du son un mouvement de l’air. Si la nature du son semble avoir totalement perdu aujourd’hui son caractère d’hypothèse, il n’en est pas absolument de même pour la théorie des ondulations lumineuses. Bien que cette théorie ait un caractère de haute probabilité, les esprits les plus prudents ne méconnaissent pas son caractère hypothétique. Elle pourra arriver à un degré de vérification expérimentale si complet qu’on pourra croire un jour, par une illusion qui n’est pas possible maintenant, qu’elle a été le résultat direct de l’observation.

La comète de Biéla, découverte en 1826, a été remplacée, en 1846, à l’époque où on attendait son retour, par deux comètes voisines ; en 1852, par deux comètes plus éloignées l’une de l’autre ; et, enfin, dans la nuit du 27 au 28 novembre 1872, par une averse d’étoiles

  1. Platon, traduction Cousin, tome VI, pages 187 et 188.
  2. Voir le Monde de Descartes, chapitre I.
  3. Questions naturelles, livre II, chapitre 6.