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ch. bénard. — l’esthétique de max schasler

condition est d'avoir une idée, de s'être créé un système. De tels hommes, même en ignorant les choses de l'art, n'en ont pas moins renouvelé la science dont il est l'objet ; ils ont, d'ailleurs, imprimé un mouvement et un ébranlement aux esprits qui s'est communiqué à toutes les parties du savoir humain. La théorie des arts s'y est trouvée comprise. M. Schasler se croit-il capable, en cela, de les dépasser ou de les égaler ? Croit-il que tout son bagage artistique ou philosophique le puisse mettre en état de faire accomplir à la science qu'il cultive avec tant de distinction un pas nouveau, ou d'opérer une transformation nouvelle ? C'est ce que nous verrons en étudiant son livre. Il n'en est pas moins vrai que l'une et l'autre condition sont nécessaires au véritable esthéticien. Il a bien fait de les acquérir toutes deux. C'est une garantie qui doit nous prévenir en faveur de l'historien critique de cette science.

M. Schasler est hégélien. Quand même il ne le dirait pas, son livre tout entier le prouverait assez. Il n'en faut pas lire deux pages pour s'en convaincre et le reconnaître. Lui-même d'ailleurs prend la peine de marquer très-longuement sa place et sa position dans l'école hégélienne (p. 946). Il le déclare d'une façon générale, en ces termes :

« Aujourd'hui, quarante ans après la mort de Hegel, malgré les modifications qu'a subies le système hégélien de la main de ses disciples, rien n'a été changé au principe; car ce principe (le Processus dialectique), c'est le battement du pouls de la vie intérieure de l'idée, la loi de son développement » (p. 941, Cf. 74). — Il admet donc la base du système et la méthode. Mais il est hégélien indépendant. En quoi s'écarte-t-il de la doctrine du maître et cherche-t-il à se frayer une voie qui lui soit propre ? on le verra par la suite.

Nous ne voulons d'abord que donner une idée de la forme et des qualités extérieures de son livre. Venant après les autres, l’auteur a voulu éviter leurs défauts et tenir compte des reproches que lui-même leur adresse. À l'obscurité qui caractérise leurs écrits, à l'emploi des formules étranges, souvent vagues ou vides, qui les rend la plupart si difficiles à comprendre et même souvent inintelligibles, il s'est efforcé de substituer une exposition plus simple, plus naturelle, une diction plus claire, ce qu'il appelle la vraie popularité du langage. Sans rien sacrifier aux exigences de la pensée scientifique ni à la clarté précise, il veut éviter le formalisme, le schématisme de cette moderne scholastique, sa terminologie aride et prétentieuse qui ne s'adresse qu'à des initiés. Il s'interdit les raisonnements subtils d'une dialectique abstraite qui fatiguent le lecteur