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analyses. — j.-f. astié. Théologie allemande.

Le second point sur lequel nous nous proposons d’attirer l’attention, est la christologie nouvelle. La tentative que nous allons rapporter est le fruit des mêmes préoccupations que la nouvelle théorie de l’autorité de la Bible. Depuis quarante ans, l’on a senti l’impérieux besoin de traiter la vie de Jésus comme celle de tout personnage réel et humain. La théorie de l’Église s’en accommodait au moins dans le principe ; elle n’a cessé d’affirmer la réalité de l’humanité du Christ contre le docétisme, comme elle affirmait sa divinité absolue contre mainte hérésie. Il n’en reste pas moins qu’il est impossible d’aborder l’étude des circonstances et du milieu qui ont vu se développer la personne et l’œuvre du fondateur du christianisme sans écarter la laborieuse formule de l’union des deux natures, établie par le concile de Chalcédoine. Les théologiens protestants modernes en Allemagne ont cherché la solution de ce difficile problème dans ce qu’on appelle la Kénose, ou le dépouillement du Verbe divin, lequel en s’incarnant aurait renoncé à tout attribut divin pour devenir purement et simplement homme. De la sorte, nous échapperions à cette pénible dualité du Christ agissant, tantôt ou à la fois, comme homme et comme Dieu, apprenant comme homme ce qu’il sait de toute éternité en tant que seconde personne de la Trinité, soumis aux mille phases du développement humain en même temps qu’il conserve l’immortalité divine.

Nul peut-être n’a poussé plus loin l’idée de la kénose que le Dr  Gess. Sentant fort bien que toutes les tentatives de refonte du dogme resteront inutiles aussi longtemps qu’on laissera subsister en Christ, à côté du Verbe ou Logos, une âme humaine, il soutient que le Logos s’est changé, métamorphosé en une âme humaine. Le Logos s’étant donc transformé en une âme humaine assujettie aux lois d’un développement régulier, on rejette sans hésitation les attributs de toute science, toute puissance, éternelle sainteté, que la théologie de l’Église concédait à l’enfant Jésus dès sa naissance. Tous ces attributs-là seraient déplacés chez un enfant dont nous prenons l’humanité au sérieux. Si nous envisageons la question au point de vue divin, nous ne pouvons admettre que ce même Logos, qui vient d’adopter l’humanité, ait continué en même temps, comme seconde personne de la Trinité, à remplir ses fonctions supra-terrestres dans l’économie intime de la divinité. Gess déclare donc que, par suite de l’incarnation, une modification profonde s’est effectuée dans le sein de la Trinité elle-même : le Père a cessé de verser sa plénitude dans le Fils ; le Saint-Esprit a cessé de procéder des deux ; le gouvernement du monde a cessé d’avoir lieu par l’intermédiaire du Verbe. Gess ajoute que la transformation subie par le Logos est assez profonde pour que l’Homme-Dieu ne fût pas absolument prédéterminé à la sainteté, mais possédât la liberté de pécher sans laquelle nous ne saurions concevoir l’humanité réelle. Pour que la sainteté parfaite du Christ ait sa valeur dans le grand procès de la rédemption, il faut en effet qu’elle soit le fruit d’un effort constant et libre, et non un postulat de sa nature même.