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LE ROMAN RÉALISTE EN ANGLETERRE AVEC JANE AUSTEN

— Il pourrait en venir vingt, à quoi cela nous servirait-il, puisque vous ne voulez pas aller les voir ?

— Aussi, je vous donne ma parole, ma chère amie, que quand il y en aura vingt, j’irai les voir tous.

» Mr. Bennett offrait un mélange si bizarre de vivacité, de sarcasme et de caprice, que vingt-trois ans de mariage n’avaient pas suffi à Mrs. Bennett pour le comprendre. Elle était, elle, moins difficile à pénétrer : c’était une femme de petit jugement, de pauvre culture et de caractère incertain ; quand elle était contrariée, elle se croyait malade ; l’unique souci de sa vie était de marier ses filles, et elle n’avait pas de plus grandes joies que les visites et les nouvelles. »


Le même Mr. Bennett conserve, tout au long du roman, son humour éternel. Quand sa femme se lamente sur la pauvreté où il la laissera à sa mort, elle et ses filles, il lui répond « Ne voyons pas les choses en noir ; espérons jusqu’au bout que je pourrai vous survivre. » Lorsque sa quatrième fille s’est fait enlever, on croirait peut-être qu’il a perdu un peu de sa philosophie : il admoneste vertement Ketty, la cinquième, lui annonce qu’elle n’ira jamais plus au bal, qu’elle ne verra pas de dix ans un seul képi d’officier. Et il termine ainsi « Au bout de ce temps-là, si je suis content de vous, je vous emmènerai à la Revue. » Il espère bien que celui qui a enlevé Lydia n’a pas consenti à l’épouser à moins de deux cent mille francs ; cela l’ennuierait, au cas contraire, d’avoir de lui une si petite idée, juste au début de leurs relations ; et enfin comme on lui a demandé, dans la même matinée, la main de deux de ses filles, Élisabeth et Jeanne, il ajoute en se retirant « Si quelqu’un venait pour Marie (la troisième), j’ai tout mon temps ; vous feriez entrer dans la bibliothèque. »

Ces quelques exemples, choisis au hasard, n’ont rien de plus saillant que le reste. On retrouverait la même vérité nuancée, la même ironie insaisissable, un peu partout. La méthode est réaliste, elle aussi ; les traits choisis sont menus, mais expressifs, et puis, si nombreux, que l’impression produite se creuse lentement, à chaque détail nouveau. Flaubert, Balzac, Daudet,