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LE ROMAN RÉALISTE EN ANGLETERRE AVEC JANE AUSTEN

l’endroit. Le pasteur, Mr. Austen, est un homme d’âge mûr, les traits réguliers et beaux ; très instruit, il a préparé lui-même à l’Université ses deux fils, qui y achèvent leurs études à cette époque ; la mère est charmante, pleine d’activité et d’entrain, c’est la fille d’un homme célèbre dans toute l’Angleterre par l’humour de ses reparties, le maître du Collège de Balliol, qui a eu tous les genres d’esprit, y compris celui d’occuper cinquante ans un poste auquel on l’avait élu provisoirement, en spéculant sur sa santé fragile ; l’ironie légère et profonde qui fleurit toute l’œuvre de Jane Austen vient sans doute de lui. Il y a dans cette maison une autre fille, Cassandra ; elle a été fiancée à un pasteur qui est mort au loin de la fièvre jaune ; elle s’est consolée, ou elle l’a cru, et elle l’a laissé croire à son entourage.

Que fait-on dans ce petit monde-là ? On reçoit des visites, on travaille à des ouvrages de dames, on tapote un peu son piano, on chante d’une jolie voix grêle des romances déjà surannées et on cultive son jardin. On va à Bath une ou deux fois dans sa vie, sous prétexte de prendre les eaux, et une fois à Londres ; la Révolution gronde pas bien loin et ensanglante le continent, on ne le dirait pas. Il y a pourtant ici la veuve d’un guillotiné, une cousine des Austen qui avait épousé un noble français. Elle pourrait mettre une note tragique dans cette existence si unie ; mais non, elle apprend le français à sa cousine et elle organise dans la grange de petites représentations théâtrales.

Voilà le milieu où vit Jane Austen. Elle est grande, élégante, les cheveux bouclés, les yeux couleur de noisette et les joues un peu trop pleines ; elle parle joliment, d’une voix douce, et elle goûte la musique. Elle est heureuse, car elle aime sa mère et sa sœur, et la mort ne lui a encore pris personne. On n’est autour d’elle ni riche ni pauvre : il a fallu prendre des pensionnaires pour ajouter au petit revenu, mais nul n’en a senti la gêne.

Jane lit du français, qu’elle sait très bien ; pourtant aucune trace de ces lectures-là n’est passée dans son œuvre ; rien de Voltaire ni de Rousseau n’y a transpiré ; elle adore le poète