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REVUE PÉDAGOGIQUE

n’appellera plus les Allemands que de ce nom, plus flétrissant dans sa pensée que celui de Barbares, les « Injustes ».

Est-ce pourtant dans la seule conviction de l’esprit, dans le seul sentiment du devoir qu’Albert Thierry va se lever pour la cause sainte ? C’est d’un élan bien plus puissant, d’un élan de tout l’être. L’amour de la patrie, comme une tempête, soulève ce cœur passionné. « Notre enfant France ! » s’écrie-t-il, La guerre en est transfigurée à ses yeux : « Que cette guerre est belle, qu’elle est grande, quelle explosion de sublime elle fait dans le courage des morts, dans la Joie des combattants, dans la sérénité toujours en péril et toujours regagnée des femmes et des mères ! » Mais voici la défaite, l’invasion. Albert Thierry, blessé pendant la retraite, tombe entre les mains des Allemands ; il y reste six jours, dans une ambulance où, de son bras valide, il soigne et secourt les soldats français et allemands plus atteints que lui. Dans ce lieu affreux, « d’un degré à peine au-dessus du charnier », il voit à plein les misères hideuses de la guerre. Il y voit aussi la laideur morale des Allemands, « la bassesse de leur patriotisme, leur goût effrayant du mensonge ». La victoire de la Marne le délivre de ce cauchemar. Il est envoyé à l’hôpital de Cholet : il y passe deux mois paisibles et douloureux, revient au dépôt. Souffrant encore de son épaule blessée, souffrant plus amèrement de « l’affreux destin de la patrie », il passe à Évreux trois longs mois, pour lui les plus cruels de cette guerre. Il ne se sauve que par un travail de l’esprit intense et continu. Ce soldat de deuxième classe, sur la paille du dépôt, médite et écrit « Les Conditions de la Paix européenne » et la « Visite de Dieu à Reims ». Enfin, dans un groupe de volontaires, il peut rejoindre le front ; il mène cette vie des tranchées, vie de fatigues et de misères où son courage semble s’exalter encore, son esprit se tendre dans un effort plus ardent, comme s’il sentait ses heures comptées. C’est là, pendant les répits que lui laisse la garde du créneau ou du poste d’écoute, qu’il écrit « La Déclaration des Droits des Peuples ». Magnifique liberté du stoïcisme ! Mais il est plus grand encore quand, à la corvée, dans la bouc et le froid, pliant lui-mème sous la fatigue, il encourage ses compagnons, leur réchauffe, leur relève le cœur. En mai, au plus fort de la bataille déchaînée, son régi-