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REVUE PÉDAGOGIQUE

l’espace, idée innée, dit encore Renouvier, c’est-à-dire autre puissance de la pensée humaine. Et d’ailleurs, il étudie moins l’idée de l’espace, que la conscience de l’espace, et comment elle s’éveille chez l’enfant par les applications qu’il en fait à des impressions qu’il sent autres que lui, et qu’il ne peut se représenter comme autres qu’en les situant, en les localisant, en les imaginant précisément dans l’espace « l’espace est la forme représentative » (p. 28). Psychologiquement, donc, loin que l’être humain soit compris dans l’espace, c’est l’espace, au contraire, qui est compris en lui et par lui : et l’on pourra retenir au moins la seconde, sinon la première partie de la célèbre pensée de Pascal : « Par l’étendue, l’univers me comprend et m’engloutit comme un point ; par la pensée, je le comprends. »

L’homme se trouve affranchi par là du dehors, du monde extérieur, de la matière. Mais Renouvier ne va pas pour cela en faire un dieu supérieur à tout, et si l’on ose dire, supérieur à lui-même. Il n’a pas éliminé l’absolu au dehors, pour le restaurer au dedans de soi. « a L’idée du moi, dit-il, est une idée de relation. » (p. 39). Le moi, en effet, est le sujet pensant, sujet inséparable de son objet : quant au sujet pur, sans aucun objet, quant au moi, abstraction faite de toute qualité, que d’aucuns déclarent inconnaissable et indéfinissable, mais tout de même existant, Renouvier le proclame inexistant : c’est une chimère, un mot, un rien. Herbert Spencer rejoint à cet égard, en passant par Hegel, les philosophes alexandrins, dans un commun effort pour atteindre l’être métaphysique, qui ne serait même plus l’être, étant au-dessus de l’être comme du non-être, au-dessus même des contradictions. Il n’y a plus là rien d’humain, et qu’on n’aille pas croire pour cela qu’il y ait quelque chose de divin ; il n’y a plus rien du tout. Le moi n’est concevable, connaissable, et possible, et réel, qu’engagé dans les conditions d’activité dont nous avons conscience. et qui font sans doute sa faiblesse, mais aussi sa force, en tout cas sa réalité. Et Renouvier réfute avec une rare vigueur les prétendues antinomies que Spencer donne pour des contradictoires, et le sophisme qui conclut de deux choses contradictoires leur existence à toutes deux, tandis qu’il n’y a le plus souvent en tout cela que deux corrélatifs logiques, et la position également logique de l’un comme de l’autre, Toute cette argumentation est à méditer, et si elle ne convainc pas tous les lecteurs, elle les fera du moins réfléchir et les mettra sagement en garde contre certaines thèses trop facilement acceptées de Herbert Spencer, et qui ne sont, dit sans ménagement notre philosophe, que « des fautes grossières contre la logique » (p. 52), le plus souvent « au-dessous de toute discussion » (p. 51).

Mais ce Moi relatif n’est pas encore la personne ; il la prépare seulement. Il pourrait, en effet, se confiner dans son égoïsme, ne point lutter contre les choses, on ne lutter que dans son intérêt propre, se faire centre du monde, auquel cas tous les individus humains se faisant aussi centres de même sorte, le monde moral (si l’on ose encore