Elle lui fit même l’honneur de le regretter quand il mourut, et de déclarer qu’elle « eût mieux aimé perdre dix mille livres que de le perdre ». Dans la bouche d’Élisabeth, une telle phrase témoigne d’une bienveillance peu commune envers son protégé.
Elle n’attendit pas, d’ailleurs, que Roger Ascham fût mort pour rendre justice à son mérite, et souvent elle l’autorisait, comme fonctionnaire de la cour, à dîner au château de Windsor. C’est à l’un de ces dîners, où Ascham se trouvait en compagnie de Sir William Cecil, secrétaire principal de la reine, et de Sir Thomas Sackville, qu’eut lieu une conversation à laquelle le Schoolmaster doit sa naissance.
Les convives s’entretenaient d’un incident qui avait eu lieu à l’institution de Eton peu de jours auparavant. Plusieurs élèves, menacés de châtiments corporels, s’étaient enfuis de l’école : « Sur quoi, nous dit Ascham dans la préface de son livre, Monsieur le Secrétaire saisit cette occasion pour exprimer le désir que les maîtres d’école missent dans l’usage des corrections plus de discrétion qu’ils n’ont coutume de Île faire communément. » — La conversation continua quelque temps sur ce sujet, les uns défendant, les autres blâmant l’usage des punitions corporelles. Ascham s’abstint d’abord de donner son opinion, « car en si bonne compagnie », dit-il avec cette modestie charmante qui le caractérise, « j’ai coutume de me servir plus volontiers de mes oreilles que de ma langue. » Pourtant, Sir William Cecil le priant de faire connaître son avis, Ascham déclara que « les enfants sont plutôt attirés vers la science par l’affection qu’ils n’y sont menés par les coups ». (Sooner allured by love, than driven by beating, to atteyne good learning.)
Le dîner fini, Sir Richard Sackville, qui avait écouté Ascham avec beaucoup d’intérêt, le prit à part, le félicita de la manière dont il avait défendu ses idées, idées que Sir Richard partageait entièrement. Il ajouta que lui-même avait eu à se plaindre d’un précepteur qui, en le maltraitant dans son enfance, lui avait fait perdre le goût de l’étude, et exprima le désir d’éviter le même malheur à son petit-fils, Robert Sackville. À cet effet il pria Ascham de vouloir bien rédiger un petit traité d’éducation à l’usage des enfants et des jeunes gens : telle fut l’origine du Schoolmaster.