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LA POLITESSE

Discours prononcé à la distribution des prix du lycée Henri IV.



Jeunes élèves,

Je manquerais à une tradition consacrée en ne m’excusant pas d’empiéter sur des vacances que vous avez si bien gagnées ; je manquerais surtout à la Politesse, qui est précisément le sujet dont je veux vous entretenir. J’ai quelque scrupule, je l’avoue, à vous poursuivre d’une leçon de morale jusqu’en ce jour de fête ; mais, tout bien considéré, je crois que vous me pardonnerez, d’abord parce que la leçon sera courte, ensuite parce que c’est la dernière, et enfin peut-être aussi parce que vous n’aurez pas à l’apprendre.

Je voudrais donc chercher avec vous en quoi consiste la politesse vraie ; est-ce une science, un art, ou une vertu ? Quelques uns s’imaginent que la politesse consiste à savoir saluer, entrer, sortir, s’asseoir, et à pratiquer, en toute circonstance, les pré ceptes si complaisamment énumérés dans les codes de la civilité puérile et honnête. Si c’était là toute la politesse, beaucoup de sauvages pourraient se croire plus polis que nous, car la complication de leur cérémonial fait l’étonnement des voyageurs. Nous nous bornons à soulever notre chapeau ; eux se dépouillent de leurs sandales, et même d’une partie de leurs vêtements, pour mieux marquer leur considération. Le ton sur lequel nous disons au premier venu « Comment vous portez-vous ? » lui fait suffisamment comprendre que sa santé est le moindre de nos soucis. Ne croyez pas que de pareils procédés seraient tolérés chez les Indiens d’Araucanie. Là, un homme n’en aborde pas un autre sans échanger avec lui, pendant un quart d’heure environ, des formules conventionnelles de politesse, dont l’omission serait considérée comme une mortelle offense. Les gens les plus civils ne sont donc pas toujours les plus civilisés. Reste à savoir, il est vrai, si la civilité doit se confondre avec la politesse, et si la véritable politesse est cérémonieuse. Les précautions infinies dont certains personnages s’entourent pour vous parler semblent