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REVUE PÉDAGOGIQUE

kanoun. La fille ne doit avoir aucune part à la terre : autrement son mari, qui peut être un étranger, deviendrait propriétaire dans le village, et la sécurité commune en serait compromise. N’est-il pas curieux de voir ces montagnards inventer pour eux-mêmes, sous l’empire de nécessités analogues, la loi salique et la théorie de la terre salique ? Les Cheurfa, qui se sont insinués parmi les tribus, avaient un instant obtenu d’elles qu’elles renonceraient à cette disposition inique ; on appliquerait aux filles les prescriptions bienveillantes du Koran. Soit que le vieux préjugé n’ait pu être dompté, soit que les inconvénients pratiques de cette réforme se fussent accusés, elle n’a pas duré très longtemps. Le 24 décembre 1748 se réunirent au marché des Beni-Ouasif les délégués d’un grand nombre de tribus kabyles ; cette assemblée abolit solennellement le droit d’héritage des femmes, rompant ainsi en visière au Koran et revenant aux coutumes nationales. En mémoire de cette décision, des stèles ou des colonnes de pierre brute furent érigées dans les principaux villages qui s’étaient fait représenter à l’assemblée. Elles ne présentent aucune inscription, car l’idiome kabyle se parle mais ne s’écrit guère. Tout en ayant oublié la date exacte de cette décision, — il y a quatre cents ans de cela, affirmait un homme de Djemâa-Sahridj, en me montrant la stèle de son village, — les indigènes en connaissent parfaitement la teneur. « Les femmes voudraient bien renverser cette pierre », me disait en riant mon cicérone en burnous.

Les mêmes nécessités de défense ont fait inventer aux Kabyles une organisation politique des plus originales et des plus curieuses. Chacun de leurs villages est une république, et l’on y a les mœurs républicaines. L’autorité suprême y appartient à la djemàa ou assemblée de tous les citoyens ayant atteint l’âge légal de la majorité. Elle se tient sur une des places ou dans une rue couverte, tout le monde étant assis par terre et chacun parlant de sa place. Les séances y sont très longues, car les Kabyles, comme les Français, aiment à parler et à entendre parler. L’assemblée possède la plénitude des pouvoirs politiques, administratifs, militaires, judiciaires (je fais abstraction, bien entendu, des restrictions apportées par la conquête française). Elle nomme un chef du village, appelé amin, qui n’est que son président et l’exécuteur de ses décisions. Celui-ci nomme, à son tour, des