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L’ENSEIGNEMENT CHEZ LES INDIGÈNES MUSULMANS D’ALGÉRIE

pas de grands propriétaires ? L’aristocratie des envahisseurs phéniciens, romains, vandales, byzantins, a pu reprendre la mer après les invasions qui détruisirent successivement leurs empires ; mais quelles flottes auraient été capables d’emmener tous ces propriétaires pauvres, tous ces colons rivés à la glèbe, ces esclaves agricoles, ce petit peuple des villes, tous les humbles et les misérables, dont les gourbis entouraient les villas des riches[1] ? Évidemment ils ont dû rester dans le pays, partager le sort de la race autochtone, se confondre et se fondre avec elle, devenir des Berbères et adopter la langue berbère. Quand survinrent les invasions arabes, les uns, surpris dans la plaine, durent accepter la religion et la langue des vainqueurs ; les autres, plus énergiques ou plus heureux, ou bien se dispersèrent dans le Sahara ou bien se réfugièrent sur les hauteurs. Ils peuplèrent notamment l’Aurès, la Petite-Kabylie et le massif de la Grande-Kabylie, qui paraît avoir échappé presque entièrement à la colonisation romaine, et n’avoir eu alors que de rares habitants, restant le domaine préféré des lions, des panthères, des sangliers et des singes roux. Ces insoumis ont repoussé longtemps la religion des vainqueurs, ont dû être convertis et reconvertis à plusieurs reprises[2], et n’ont admis de leur langue que les mots indispensables pour exprimer les idées apportées par eux.

Les vestiges des divers civilisations qui se succédèrent en Afrique sont encore visibles dans les tribus berbères réputées les plus pures.

De la période carthaginoise ont survécu ces ornements phéniciens sur les poteries kabyles, ce graphique de la déesse Tanit que les femmes de l’Atlas continuent à reproduire sur leurs amphores, ces pratiques qui rappellent les rites d’anciennes religions disparues, cette « Fiancée des eaux » qu’on promène dans des sortes de processions, pour appeler sur les biens de la terre la pluie féconde, ces coutumes étranges, en vigueur encore aujourd’hui dans certaines tribus comme les Guifsers, etc.

  1. On estime à plus de quatre millions d’âmes l’immigration latine dans l’Afrique du Nord. Masqueray, Formation des cités chez les populations sédentaires de l’Algérie, Paris, Leroux, 1886, page 11.
  2. Les Kabyles du Djurdjura ont apostasié jusqu’à douze fois. des Touaregs, ces Berbères du Sahara, signifie apostats.