qu’elle gardait à ses anciennes élèves de l’école primaire supérieure de Paris et de l’école normale de la Seine. Aucune n’était oubliée, ni surtout celles qui avaient en particulier besoin de son aide ; et je crois ne pas m’abuser en ajoutant qu’aucune ne l’oubliait parce que toutes se savaient aimées.
» Mme de Friedberg s’était longtemps fait illusion sur la gravité de son état. Elle aimait la vie et se sentait encore des forces, qui ne devaient, hélas ! servir qu’à prolonger ses souffrances. Mais lorsque la mort lui est apparue, inévitable et lente, son cœur n’a point faibli : elle l’a regardée fixement. Elle est restée jusqu’au bout fidèle à elle-même, aux principes et aux affections de toute sa vie. Calme et « absolument soumise », disait-elle elle-même, aussi libre d’esprit, aussi attentive aux autres et aussi peu absorbée dans ses propres maux que si elle avait eu de longs jours devant elle.
» Elle n’est plus, notre directrice ! Vous ne la reverrez plus, mesdames, au milieu de vous, dans vos classes, dans ce parc où elle aimait à se mêler familièrement à vos groupes. Elle ne vous appellera plus auprès de son lit de souffrance pour converser avec vous de vos études et de vos familles. Elle est partie, la première de nous ; d’autres la suivront à des intervalles plus ou moins rapprochés ; c’est la condition humaine. Mais qu’importe ! la voix d’un ancien vous le disait récemment dans une de nos conférences : « Quant à vivre assez, les ans ni les jours n’y font rien, ce qui fait tout c’est l’âme. » — L’âme, c’est-à-dire la bonne disposition morale, la volonté de faire tout son devoir, la constante application à remplir l’heure qui fuit de choses éternelles ; pour le reste, l’humble acquiescement à la volonté divine. Mais si les hommes passent, l’esprit demeure, quand toutefois il y a un esprit. C’est vous, mesdames, s’il est vrai qu’il y ait un esprit de Fontenay et que cet esprit mérite de vivre, c’est vous, à qui ne manquent ni la jeunesse ni le bon vouloir, qui aurez le devoir et l’honneur de le perpétuer au service des filles du peuple ; et sans doute, vous ne refuserez pas alors d’y mêler quelque souvenir de ceux qui ne seront plus.
» Adieu, madame de Friedberg ! adieu, chère directrice ! Adieu au nom de vos élèves anciennes et nouvelles, qui de loin comme de près vous font cortège à l’heure du départ suprême. Adieu au nom de vos collègues, les maîtres et les maîtresses de Fontenay, adieu au nom de l’Université tout entière qui avait espéré de vous voir quelques années encore à la tête de votre école. Ces années nous ont été refusées. Nous courbons la tête et, ne pouvant plus rien pour vous, ô notre chère morte, nous vous remettons entre les mains du Dieu de la vie et de l’infinie Bonté. — Mais nous ne vous oublierons pas. »