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DISCOURS DE M. GRÉARD

Un jour qu’on demandait à Victor Cousin pourquoi il avait réservé à la philosophie ancienne le bénéfice de sa fondation, il répondit dans son grand langage : « Je veux qu’on retourne sans cesse aux autels des dieux ; on honorera toujours assez les idoles modernes. » — La section de philosophie n’a pas entendu honorer les idoles modernes en ouvrant un concours sur la question du Pessimisme ; mais elle a cru utile de soumettre à la critique un système dont les adeptes ne seraient pas éloignés de faire une religion. « Le mieux pour l’homme est de ne pas naître, et, quand il est né, de mourir jeune », a dit le tragique grec ; et l’écho de cette plainte mélancolique a traversé les siècles, retentissant dans l’âme du poète épris de l’idéal ou dans l’intelligence du penseur qu’attire le mystère de l’inconnu, répété après eux, sous le coup de la douleur, par tous ceux qui ont subi l’épreuve des souffrances ou des amertumes de l’existence. Mais jamais encore on n’avait entre pris d’ériger en une conception doctrinale ce sentiment des misères humaines. Léopardi se plaît à chanter que c’est pour l’homme une triple illusion de chercher le bonheur soit dans la vie présente, soit dans une vie future, soit dans la vie collective et progressive de l’humanité. Tout l’effort de la logique de Schopenhauer porte sur la démonstration qu’il veut faire que l’homme doit être malheureux ; et, comme par un surenchérissement de ténébreuse et cruelle métaphysique, M. de Hartmann prononce qu’en réalité l’homme est malheureux. Peut-être sommes-nous plus libres que d’autres pour apprécier le vice logique du système et le danger des ruines qu’il accu mule dans la conscience. Le pessimisme a engendré le nihilisme en Russie et, en Allemagne, il soutient le socialisme. Chez nous, il n’a produit qu’une littérature d’oisifs, non sans talent parfois, mais sans autorité. C’est un mal qui n’est point français. Les rêves obscurs et malsains dont il se nourrit répugnent à notre esprit national, alerte et vaillant, qui n’est à l’aise que dans l’activité et la lumière. Contre ces désolantes glorifications du néant, élevées à la hauteur d’un dogme philosophique et social, le remède le plus sûr sera toujours le sentiment du devoir et ses clartés sereines, du devoir raisonnablement et courageusement accompli. L’erreur fondamentale des doctrines