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REVUE PÉDAGOGIQUE

détourner de la bonne voie à suivre. En même temps, mon existence matérielle a été bonne ; à part quelques légères indispositions, j’ai toujours joui d’une heureuse santé.

Je n’ai à me plaindre que du surmenage intellectuel. Les programmes sont trop étendus, et pour les parcourir soigneusement c’est bien difficile. On acquiert des idées générales sur toute chose, mais on ne sait rien. Mais les trois années que j’ai passées à l’école normale ont développé mon intelligence, mon jugement et amélioré mon cœur : c’est ce dont je suis le plus heureux.(T.)

II. ― … Habitué, comme tu sais, à un travail par trop modéré, un peu enclin à la paresse, j’ai trouvé en arrivant ici la tâche que j’avais à remplir au-dessus de mes forces.

Chaque matin il fallait être debout entre 5 et 6 heures, aller en classe à 7 heures pour ne revenir qu’à midi ; rentrer à l’école à une heure et demie et n’en sortir qu’à 8 heures du soir. Ce qu’il y a eu pour moi de pénible, je ne saurais te le décrire. Heureusement l’habitude a pu transformer cette vie que j’aurais nommée de galères si j’avais obéi à mes premiers sentiments.

Corse de naissance et de cœur, habitué à courir dans les campagnes, j’aime la liberté, j’aime le grand air ; je ne sais si j’aurais pu m’accoutumer d’un internat, Oui, sans doute, les conditions extérieures de l’externat sont quelquefois bien dures ; mais à côté, que d’avantages ! On est plus libre, il est vrai, et comme tu le dis, le travail doit s’en ressentir. Détrompe-toi ; ce n’est pas lorsqu’on nous oblige à faire une chose que nous réussissons le mieux. Bien des fois, en rentrant chez moi, j’étais tellement fatigué que la vue seule d’un livre me donnait des nausées. Une courte promenade sur les bords de la mer me reposait entièrement ; il m’était possible, ensuite, de travailler pendant deux ou trois heures, et cela sans éprouver aucune fatigue.

Mais, d’un autre côté, nous étions, et nous le sommes plus que jamais, accablés par les lourds programmes de l’école. J’ai conscience d’avoir travaillé certaines matières spécialement ; mais quoique j’aie pu faire, je n’ai pu conserver que des notions confuses. S’ils connaissaient comme ils nous surmènent, ceux qui font les programmes seraient plus raisonnables ; au lieu d’ajouter sans cesse de nouvelles matières, ils en supprimeraient quelques-unes.

Tu me demandes aussi comment j’ai été traité par mes logeurs… (Suivent des détails que nous connaissons déjà).

Les bonnes gens chez qui j’étais m’ont toujours laissé maître de mes actes. Aussi j’ai failli bien des fois, j’ai perdu du temps que je devais passer sinon à ma table de travail, du moins dans mon lit. Heureusement pour moi, une personne qui a toujours eu les yeux sur moi, et surtout un directeur vigilant et sincère, ont veillé sur ma conduite. Si j’ai tâché de me conformer au devoir, c’est je l’avoue en grande partie pour leur plaire. Je leur en serai toujours reconnaissant.(M.)