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REVUE PÉDAGOGIQUE

hommes, qu’on a une très grande considération de notre dignité, qu’on nous donne notre liberté ; aussi, ce me semble, nous tâchons de rester sans reproche. Parfois nous serions portés à faire un faux pas ; notre honneur, nos occupations scolaires, le respect du titre que nous portons, nous retiennent ; tout ce qui nous fascine est peu de chose en comparaison du devoir que l’État nous impose.(O.)

Un autre, après la description de son petit intérieur « d’où tout faste est exclu » et des douceurs de la vie de famille qu’il a retrouvée chez un de ses compatriotes de la campagne établi en ville, ajoute :

Tu voudras peut-être savoir maintenant si je suis bien aise et bien fier de disposer du temps pendant lequel on nous laisse libre : c’est-à-dire du jeudi soir après cinq heures, de l’après-midi du dimanche, et de l’heure de repos qui suit le déjeuner de chaque jour. Je n’hésite pas à prononcer le mot oui dans le haut de la voix. Je vois quelquefois les élèves internes du collège et du petit séminaire, soit dans la cour de ces établissements, soit quand on les conduit en promenade sur deux rangs. Eh bien ! je ne puis te cacher qu’il me semble que je sois plus privilégié qu’eux, si je puis parler ainsi ; le brin de liberté dont je dispose me présente la vie écolière sous un aspect bien plus brillant que ne doivent la voir ces pauvres internes. Mais ne fût-ce que pour l’idée de liberté seule qui me réjouit et me rend plus fier de ma dignité, je te répondrais encore oui.

Mais cette vie de liberté, me diras-tu, quelle influence exerce-t-elle sur toi moralement ? L’affaire se complique, si nous voulons en venir là. De ce côté, on risque de tout perdre en voulant trop gagner. Comment cela ? Je vais te dire en quelques mots ce que je pense. Nous disposons d’assez de temps pour pouvoir passer quelques moments en ville. Qu’arrive-t-il alors ? Si l’on a un caractère ferme, viril, c’est un avantage bien grand que cette liberté ; on se rend compte du monde extérieur, de la vie matérielle ; on fait en quelque sorte un apprentissage qui prépare l’homme qui doit lutter contre les vicissitudes de la vie. Mais si l’on a un caractère faible, malade, qui se laisse éblouir par les dehors des choses, c’est au détriment de ses intérêts tant au point de vue physique que moral que l’on jouit de cette liberté. Si je te parle de ceci, c’est que j’ai vu. J’ai quelquefois oublié l’école normale, momentanément heureusement, pour faire autre chose, bien que je ne le voulusse pas ; et si d’autres raisons n’avaient pas réagi, si je n’avais pas touché du doigt mon erreur, je serais sorti de l’école normale bien pire que lorsque j’y suis entré, moralement du moins.(P.)

On sera touché certainement de ce qu’il y a de consciencieux et de ferme dans la manière dont ils insistent sur les périls de l’externat. Le jugement suivant paraît résumer leur opinion :