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EN ALGÉRIE

en cette suison il ne roule déjà plus qu’un mince filet d’eau qui sera bientôt tari. Le paysage, des plus accidentés, a un cachet original et saisissant ; sur chaque mamelon se dresse un village ; les maisons compactes, serrées, couvertes de tuiles rouges, brillent au soleil : entre chaque pic s’ouvrent des ravins abrupts, mais verdoyants. Nous nous étonnons de voir si bien cultivés les plus petits recoins de terre ; la route est très fréquentée et témoigne d’une activité commerciale considérable. À tout instant nous rencontrons des troupes de mulets et de ces petits ânes communément appelé bourriquots en Algérie. Dans ce pays montagneux où les charrois par voitures sont impraticables d’une tribu à l’autre, les bourriquots sont la grande ressource des habitants : petits, maigres, pelés, crottés jusqu’à l’échine, ils portent des briques, des pierres, du sable dans des couffins d’alfa[1], de l’orge dans des sacs, de l’huile, la grande richesse du pays kabyle, dans des peaux de bouc. Leurs conducteurs suivent le plus souvent à pied, trottant comme eux ; marcheurs infatigables, ils accélèrent la marche des bourriquots en poussant un cri uniforme bizarre, aigu : arri, arri. Quand les pauvres animaux, mal nourris, harassés, s’arrêtent un moment pour paître l’herbe rare qui a poussé entre les pierres du chemin, les bourriqueros les piquent de leur bâton pointu, dans les écorchures de la peau : on me dit qu’ils avivent sans cesse ces écorchures pour les rendre plus sensibles. Parfois ils sautent sur la croupe endolorie de l’un d’eux, et le pauvre baudet, fléchissant sous cette charge nouvelle, précipite sa marche ; toute la troupe s’arrache aux délices du maigre gazon et s’élance en secouant les oreilles. Le soir venu, maîtres et baudets coucheront sur le sol nu : la vice est dure ici pour les hommes et pour les bêtes.

Tamda, Mékla, 19 mars.

De temps en temps nous apercevons une cigogne perchée sur un toit ; une autre vole de ci, de là, les pattes pendantes, le cou allongé en avant : elles sont revenues avec le printemps.

Deux centres européens ont été créés, à Tamda et à Mékla. Situé sur la rive droite du Sébaou, dans la plaine, Tamda se présente bien et a, me dit-on, de l’avenir. Il n’avait pas encore d’école quand nous y avons passé ; on devait sous peu en créer une mixte, qui effectivement a été ouverte le 1er mai ; l’institutrice était déjà nommée : elle est payée par la commune d’Azeffoun, qui est très riche et ne dépense pas tous ses revenus. Sur la rive gauche du Sébaou, à mi-côte, au milieu du feuillage sombre des oliviers, se détache la

  1. L’alfa est une graminée touffue, extrêmement abondante, notamment dans le Sud Oranais, de l’aspect et de la couleur du jonc ; vert, il sert de nourriture aux chevaux ; sec, il est utilisé à faire divers ouvrages de sparterie, du papier, etc.