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EN ALGÉRIE

mourir en molles ondulations de courbes aussi variées que gracieuses.

Nous marchons toujours, durant une demi-heure, une heure. Des indigènes, montés sur des mulets, nous dépassent. M. Scheer, qui parle le kabyle comme sa langue maternelle, s’informe de notre voiture ; elle est toujours embourbée ; de plus, dans un effort malheureux des chevaux et du conducteur pour l’arracher aux fondrières, les deux brancards ont été cassés. Décidément le voyage commence bien ! Nous prenons tous la chose du bon côté ; on se soulage en maugréant contre la voirie et les voituriers, mais on rit et l’on continue à marcher. Nous rencontrons un poste de pénitenciers[1] sous la tente et une auberge dans un gourbi[2] sur le bord de la route ; mais tout cela est d’une propreté tellement douteuse que nous n’osons conseiller à Mme Lenient de s’y reposer. Nous nous asseyons un instant sur le rebord de la routé ; mais le sol est encore humide et, nous levant, nous continuons à avancer : les montées et les descentes, les contreforts des montagnes et les vallonnements se succèdent. M. Scheer se dévoue, il retourne sur ses pas pour s’informer de ce que devient la diligence ou louer une autre voiture qui nous conduise à Tizi-Ouzou. Nous avons déjà fait ainsi 6 kilomètres : il nous faut aller jusqu’au Camp du Maréchal pour nous reposer : ancienne installation du maréchal Randon lors de l’expédition de 1857, c’est aujourd'hui un village d’Alsaciens-Lorrains ; il n’est, nous dit-on, qu’à un kilomètre. Mais c’est un kilomètre de spahis, comme disent les Algériens ; nous marchons une demi-heure pour y arriver. La plaine s’est élargie ; la récolte est déjà avancée ; à gauche une belle route bordée d’eucalyptus et traversée par un ruisseau conduit à Dellis. Nous nous reposons au Camp du Maréchal et prenons du vin chaud pour nous réconforter. Enfin la diligence, tant bien que mal raccommodée, arrive avec M. Scheer ; il est 6 heures. Nous repartons ; à 7 heures il fait nuit, mais la lune est déjà haute.

Tizi-Ouzou (Col des Genêts), 18 mars.

Nous arrivons à Tizi-Ouzou à 9 heures, morts de faim. Le dîner à l’hôtel de la Moselle est bon et très gai : chacun rappelle et commente les divers incidents de cette première journée. Désireux de repartir de bonne heure le lendemain, nous visitons Tizi-Ouzou au clair de lune ; la ville, bâtie sur le territoire des Amraoua, ancienne colonie turque, est toute nouvelle, propre, traversée par une grande et

  1. Pénitenciers, soldats punis qu’on emploie dans l’intérieur des terres à des travaux publics et quelquefois privés ; dans ce dernier cas ils reçoivent une légère rémunération.
  2. Gourbis, cabines maçonnées avec de la boue ou de la bouse de vache séchée, et recouvertes de dis {grande graminée très commune) ou de branchages, et servant d’habitations aux Kabyles en dehors des villages.