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REVUE PÉDAGOGIQUE

rection de 1871, qui faillit compromettre notre conquête : partout sur notre passage on nous signale les lieux que cette lutte terrible a rendus célèbres : ne voulant pas faire ici de l’histoire, nous n’en dirons que ce qui pourrait intéresser notre voyage. Détruit, ainsi que Ménerville, lors des derniers événements, Bordj-Menaiel s’est de même relevé de ses ruines ; il est aujourd’hui agrandi et plus peuplé qu’il y a quinze ans. Le pays est très cultivé, nos colons y acclimatent la vigne qui paraît prospère : le long de la route, en bordure, des ricins, grands comme des mûriers, des mauves arborescentes commencent à fleurir ; l’eucalyptus, cette heureuse importation australienne, y vient à merveille et assainit les terres marécageuses : on voit encore des cactus (figuiers de Barbarie) et des aloès, mais ce sont les derniers sur cette route. Les femmes que nous rencontrons ne sont plus voilées, on voit que nous ne sommes plus en pays arabe.

Haussonvillers (Zib-Zamoun), 18 mars.

Rien n’est remarquable jusqu’à Haussonvillers ; cette petite ville, que les indigènes appelaient Azib ou Zib-Zamoun (la ferme de Zamoun, un des lieutenants d’Abd-el-Kader), a pris, en devenant française, le nom du président de la société des Alsaciens-Lorrains qui y a établi une colonie de nos compatriotes restés Français. C’était jour de marché : à en juger par l’affluence des gens qui s’y sont rendus, les transactions sont importantes. Cependant la route qui y conduit est mauvaise à détourner d’y venir les plus intrépides : nous devons mettre pied à terre assez longtemps avant d’entrer dans le bourg. C’est bien pis quand nous en sortons : la descente est rapide ; dans la vallée la route est littéralement défoncée, notre voiture y reste embourbée ; il n’y a pas qu’à Quimper-Corentin que le destin envoie les gens quand il veut qu’ils enragent. Les énormes charrois que nécessitent les travaux du chemin de fer ont creusé des ornières profondes que les dernières pluies ont changées en fondrières impraticables. La commune prétend que la Compagnie du chemin de fer doit réparer les dommages qu’elle a causés ; la Compagnie s’y refuse. Un procès s’engage ; en attendant, les habitants et les voyageurs en pâtissent à l’ordinaire. Nous allons à pied : ce sera toujours un allègement pour nos pauvres chevaux quand ils seront parvenus à sortir d’embarras. La route est toujours aussi mauvaise, la montée rude et longue. Nous nous faisons un jeu de jeter en passant des pierres dans les trous ; elles y disparaissent sans les combler, comme dans les marécages où tout s’enlise. C’est le recteur qui nous donne l’exemple ; il est gai, il est toujours en avant, son ombrelle à la main. Le temps est beau, le paysage magnifique : à gauche, des collines peu élevées bordent la route ; à droite, la vallée est profonde en avant des montagnes, dont les contreforts y viennent