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LA PRESSE ET LES LIVRES

Chaque oraison funèbre est précédée d’une notice à la fois sobre et substantielle et suivie d’extraits historiques apportant, à l’appui des jugements de Bossuet, ou des faits ou au moins le jugement conforme des contemporains.

Au bas de chaque page de nombreuses notes. Qui ouvre le livre serait tenté de les trouver trop nombreuses ; mais à peine en a-t-on commencé la lecture que l’impression disparaît. Celles qui concernent la langue me paraissent particulièrement intéressantes. « Bossuet, nous dit M. Jacquinet, n’a jamais voulu ni pu rompre avec cette première et forte langue du xviie siècle qu’il avait d’abord parlée et des ressources de laquelle son génie naissant s’était si heureusement emparé ; j’entends celle des temps de Richelieu et de Mazarin et même encore des premières années du règne personnel de Louis XIV ; cette langue si riche, et si jeune et libre encore dans sa maturité commençante ; à laquelle une grammaire définitive n’est pas venue donner la dernière forme, le dernier pli ; toute semée de tournures, de locutions françaises, qu’une désuétude rapide, et pas toujours méritée, va prochainement atteindre ; très voisine encore, en beaucoup de parties, de ses sources latines : où s’offrent enfin, très expressifs dans la valeur intacte de leur sens original, et, pour ainsi dire, avec toute leur saveur native, une foule de mots qui ne périront pas, mais qu’affaiblira, qu’émoussera bientôt, et trop vite, le maniement répété de l’usage. De cette langue, les oraisons funèbres, dans l’unité de leur forme si consistante et si parfaite, ont retenu et gardé beaucoup plus qu’il ne semble. De là ces particularités — de syntaxe ou de mots — que l’étude philologique découvre et qu’elle s’attache à marquer, au passage, d’une note précise, munie d’exemples recueillis chez l’auteur lui-même ou chez ses contemporains et ses devanciers. » On aime à entendre le commentateur définir ainsi lui-même sa tâche ; et comme il l’a définie, il la remplie : ce qu’il a annoncé, il l’a tenu excellemment.

À ces remarques de langue sont jointes des remarques plus délicates encore, de celles qu’on appelle spécialement littéraires. M. Jacquinet n’ignore pas que ce genre de commentaires est à l’heure présente très décrié, sans doute parce qu’on en a abusé ou mal usé ; il a cru pourtant devoir lui faire une place et, j’estime, non sans raison. Comment serait-il inutile qu’un homme de goût et d’expérience comme celui dont il s’agit ici appelât l’attention de ses lecteurs sur telle ou telle beauté de pensée ou d’expression, les invitât même à l’admiration, pourvu qu’en même temps il les invitât à rechercher avec lui, à préciser, si possible, les motifs de cette admiration ? N’est-ce pas une manière de travailler à l’éducation des esprits ?

J’ai dit que ce livre était fait par un maître, j’ajouterai qu’il me semble fait pour les maîtres. Je n’hésiterai pas à le recommander à nos professeurs d’écoles normales, à ceux qui visent à le devenir.