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REVUE PÉDAGOGIQUE

société de Nantes : sa classe remporta deux fois le prix d’honneur des départements, et les chefs d’un établissement qui jusque là faisait concurrence au lycée prirent le parti d’y envoyer leurs élèves. « Sa parole », disait un de ses juges, « est calme, mais précise et attachante » : — « C’est », disait un autre, « un professeur agréable et qui plaît ». Il ne plaisait pas seulement, il se faisait aussi aimer, par sa bonté, et par un dévouement qui suivait ses élèves au delà de leur rhétorique et hors du lycée. Il s’était fait une règle de ne pas donner de leçons particulières : le préfet de Nantes lui demanda une exception pour son fils et ne l’obtint pas ; mais il en fit une de lui-même pour un de ses anciens élèves, qui était sans fortune et qu’il prépara gratuitement à l’École normale.

En 1872, les fatigues de son double enseignement le déterminèrent à solliciter les fonctions d’inspecteur d’académie. À peine en avait-il fait l’apprentissage à Tours, qu’il fut appelé à les exercer dans le poste qui a toujours passé pour le premier de province, à Lille. C’est de Lille, et sur la désignation unanime, de ceux qui l’y avaient vu à l’œuvre, qu’il fut appelé à Paris en 1880, comme inspecteur général, délégué d’abord et presque aussitôt titulaire. Il a porté dans cette seconde partie de sa carrière toutes ses qualités de caractère et d’esprit, mûries par l’âge et développées par l’importance même de ses nouvelles fonctions. Dans un département livré à la lutte des partis, dans un temps fertile en vicissitudes et en surprises politiques, il a été le plus impartial, le plus indépendant, le plus honnête des administrateurs. On admirait l’habileté dont il faisait preuve dans les circonstances difficiles : mais il disait lui-même que sa plus grande finesse était de marcher droit devant lui. Appelé à s’occuper, d’abord principalement, puis exclusivement de l’enseignement primaire, il l’a aimé, comme il avait aimé l’enseignement secondaire : et sa principale préoccupation a été d’y faire pénétrer ce qu’il devait lui-même à l’enseignement secondaire, le sentiment et le goût des lettres. C’est pour les jeunes maîtres, dont il était devenu le juge et le guide, qu’il a fait, lui qui n’avait encore rien publié, ses éditions annotées du Cid, d’Horace, de Britannicus, d’Athalie. C’est pour eux qu’il rédigeait, dans la Revue pédagogique, ces sortes de notes de voyage intitulées À travers les écoles, véritables petits chefs-d’œuvre, où il se montre tout entier, avec sa finesse d’observation, sa tendresse pour l’enfance, son goût même pour la nature, pour la mer, qu’il rencontrait quelquefois, en Bretagne, 8 deux pas d’une école. Son zèle pour l’enseignement primaire lui a procuré une récompense bien imprévue, mais bien digne de lui : il lui a fait donner sa vraie mesure de lettré, il a révélé en lui un écrivain.

Heureux dans sa carrière, M. Anthoine l’était aussi dans sa vie de famille. Il était fier des succès de son fils aîné, prix d’honneur des sciences, brillant élève de l’École Polytechnique, devenu, par goût, officier d’artillerie, mais malheureusement, cette année, bien éloigné de lui ; un second fils, une fille, se préparaient. sous ses yeux, l’un aux examens de Saint-Cyr, l’autre à ceux du brevet supérieur, ; un dernier enfant entrait, plein d’ardeur, au petit lycée Louis-le-Grand. Je lai vu, il y a un mois à peine, joyeux de sentir tout ce monde travailler comme lui et autour de lui. Quelques jours plus tard, il tombait malade. Le mal parut léger d’abord,