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REVUE PÉDAGOGIQUE

et de critique qui marquait sa vraie place dans l’enseignement supérieur. Mais, pour occuper une chaire de faculté, dont on le jugeait si digne, il lui manquait le doctorat qu’il avait négligé de conquérir étant jeune, et qu en arrivant à l’âge mûr il n’osait plus affronter. Il le regretta souvent. La jeunesse, pensait-il, a tous les titres à l’indulgence de ses juges pour ses défaillances ou pour ses audaces ; plus tard, on devient plus exigeant pour soi-même, et nos propres sévérités pour l’œuvre de nos mains nous font craindre, chez les autres, des sévérités que notre modestie ne se promet plus de désarmer. Celle de M. Anthoine avait peur des travaux de longue haleine, comme s’il ne lui eût pas été facile de puiser dans son goût sûr et délicat assez d’observations personnelles, fines et justes, pour remplir richement plus d’un volume.

Il quitta l’enseignement pour l’administration, et arriva à l’instruction primaire par l’inspection académique. On sait que nos modestes écoles populaires, urbaines ou rurales, la direction de leur nombreux personnel, les questions de programme et d’emploi du temps, celles d’administration et de finances, sont devenues la grande tâche de l’inspecteur d’académie qui est, en fait, dans chaque département, comme il l’est, en titre, dans ceux de la Seine et du Nord, le directeur de l’enseignement primaire, présidant, de concert avec le préfet, aux intérêts d’un des grands services du pays. M. Anthoine s’acquitta de ce rôle, auquel il ne paraissait pas prédestiné, d’une façon magistrale. C’est dans le département du Nord qu’il a donné toute sa mesure. Ses rapports sur la situation matérielle, morale et pédagogique de l’instruction primaire dans ce centre d’activité industrieuse et de richesse sont restés des documents du plus haut intérêt. L’action qu’il exerça fut si forte que, longtemps après son départ, on en retrouve la trace, et que ses successeurs n’ont eu qu’a la suivre et à la continuer, pour être au courant du mouvement de rénovation qui s’imprima plus tard partout ailleurs dans l’instruction populaire.

Aussi, lorsque la mort de notre distingué collègue, M. Gérardin, ouvrit cette série de vides qui se sont faits coup sur coup dans nos rangs, M. Anthoine fut désigné d’une voix unanime aux honneurs, ou plutôt aux charges et aux fatigues, souvent mortelles, de l’inspection générale. Libre des détails de l’administration avec lesquels il s’était si bien familiarisé, il s’associa de tout cœur aux efforts tentés pour relever le niveau de l’enseignement primaire et y faire entrer un peu de culture littéraire. Mais son bon sens le défendit contre toute assimilation dangereuse. Il pensait avec raison qu’il est plus urgent d’élargir et de consolider la base que de surélever le faite et de lui imposer un couronnement prématuré. Ces chères lettres, il ne voulait les introduire chez nous que dans la mesure où elles pouvaient être comprises ; repoussant les énumérations fastidieuses, les stériles nomenclatures, il voulait, en ornant l’esprit, compléter l’éducation nationale. Son influence utile et féconde s’exerçait surtout auprès de nos écoles normales. Rien de plus précieux que ses conseils, rien de plus sûr que sa direction. Il s’attachait à éveiller et à développer, chez nos jeunes maîtres, le sens même de l’admiration par l’éducation du jugement et du goût. Ses fragments de rapports d’inspection, ses procès-verbaux de concours, ses dis-