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REVUE PÉDAGOGIQUE

pour qui elle est un don d’ordre presque physique, croître à mesure qu’elle est moins gênée en quelque sorte par la pensée, moins contenue par le souci de la suivre et de la rendre en la serrant de plus près.

Qu’on ne croie pas que j’étudie ici un cas rare, celui d’un esprit qui, au lieu de gagner avec le temps, perd et déchoit, n’en ayant pas conscience. Tel est le sort qui attend tous ceux qui s’imaginent pouvoir enseigner en vivant sur un premier fonds sans le renouveler ou le rafraîchir par l’étude et la réflexion. Le métier a, je le sais, son danger, sa régularité même, qui, si l’on n’y prend garde, assoupit et engourdit. On arrive à enseigner avec les lèvres, l’esprit sommeillant. Debout, maîtres et maîtresses ! tenez-vous éveillés ; lisez, travaillez pour vous-mêmes, ajoutez à vos connaissances, intéressez-vous à votre tâche ; efforcez-vous de faire toujours mieux ; entretenez votre intelligence comme le soldat entretient son arme, point rouillée, prête à l’action, nette et claire, affilée et tranchante.

Cependant la leçon continue ; elle dure déjà depuis plus d’une demi-heure ; de Richelieu on a passé à Mazarin ; reste encore Colbert, et les élèves sont toujours immobiles, les mains derrière le dos : excellente attitude sans doute, non moins favorable à la discipline qu’à l’hygiène. Elle empêche les mains inoccupées d’errer, de s’en prendre au livre, à la table, ou à la voisine ; elle force à tendre la poitrine : mais l’attitude la meilleure, quand elle est aussi prolongée, ne devient-elle pas fatigante, pénible, douloureuse ?

Il semble qu’il en soit ainsi un peu pour tout dans cette classe : on a les meilleures intentions, on s’attache à tout ce qui est prescrit ou recommandé ; on est prêt à dire à l’inspecteur qui entre : « Voyez comme tout se passe bien ici ! » Mais on se paie trop de bonnes intentions et d’apparences. On ne craint pas d’essayer une leçon sous sa forme la plus difficile ; mais ce n’est qu’un cadre et on ne le remplit pas ; car il aurait fallu que du rapprochement de ces grands noms il sortit quelque chose, un rapprochement de l’œuvre, du caractère des uns et des autres, des résultats poursuivis et atteints, des moyens employés. On veut tout au moins faire de l’enseignement oral ; et ce sont bien en effet les apparences de cette manière d’enseigner, point de