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A TRAVERS LES ÉCOLES

plus, je deviendrais leur complice. » Et je m’élevais surtout contre cet exercice de la copie, que je traitais sans ménagement d’abêtissant. Mon compagnon me répondait : « Reconnaissez qu’il n’est pas facile à un seul maître de s’occuper de tant d’élèves si différents d’âge et de force. Desquels s’occupera-t-il d’abord ? Des plus grands, parce qu’ils comprennent plus facilement et plus vite et parce qu’il peut y avoir parmi eux des aspirants au certificat d’études. Et ensuite ? Des plus petits, parce qu’ils ont besoin d’apprendre à lire, ce qui est la première et la plus indispensable des sciences, et qu’ils ne peuvent apprendre seuls. Reconnaissez que, lorsque le maître s’est occupé de ceux-ci et de ceux-là, il lui reste bien peu de temps pour s’occuper des autres. Or il y a précisément un moyen pour que les autres s'occupent eux-mêmes, l’écriture, la copie ; on est tout heureux de l’avoir, ce moyen ; on s’en sert. Autre raison : l’enfant arrive plus vite à écrire qu’à lire. »

Et comme je regardais mon interlocuteur d’un air étonné, ayant vu tout le contraire près de moi, il reprenait :

« Je ne parle pas de l’enfant de la ville, mais de celui de la campagne que je pratique beaucoup, à l’esprit plus lent, moins sollicité à s’ouvrir. Écrire est un art tout matériel, art d’imitation quelque peu grossière, qui relève principalement de certaines disposition physiques ; les plus intelligents n’y réussissent pas toujours le mieux : ce qui a donné à l’écriture un mauvais renom dont on s’est trop armé contre elle quand on a été jusqu’au dédain. Lire est un art, si je puis dire, tout intellectuel. Cela est vrai dès le début : n’y a-t-il pas déjà un grand effort d’intelligence à retenir la valeur souvent variable de ces caractères et combinaisons de caractères et à la convertir à chaque fois selon qu’il convient dans le son correspondant ? Cela est encore plus vrai, à mesure qu’on s’éloigne davantage du début : car que de degrés dans cet art ! Que de manières de l’entendre et de le pratiquer, depuis le lecteur qui a besoin de lire des lèvres, de se procurer à lui-même le son pour comprendre, jusqu’à celui à qui il suffit de courir sur la ligne, de toucher seulement de l’œil le mot, d’en cueillir en quelque sorte au vol l’apparence vague et confuse pour évoquer l’idée, la faire saillir en son cerveau ! La différence est grande même chez des personnes d’une