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A TRAVERS LES ÉCOLES

une phrase d’Harpagon qui au théâtre ne manque guère son effet ; toujours à la recherche de son menu, effrayé des propositions de maître Jacques, il se décide à risquer quelques indications. « Il faudra de ces choses dont on ne mange guère et qui rassasient d’abord ; quelque bon haricot bien gras, avec quelque pâté en pot bien garni de marrons. » Certes la forme n’est pas ici indifférente ; on en a la bouche empâtée et pleine comme des mets eux-mêmes : que dis-je ? elle donne à l’avance la sensation de l’estomac rempli, gonflé, qui ne désire plus rien, ne pouvant plus rien recevoir. Mais est-ce de la forme seule que naît le comique ? est-ce de telle ou telle partie de la phrase, de tel ou tel mot en particulier ? C’est plutôt de l’idée elle-même, des choses, de la situation, du personnage. Harpagon parle conformément à son caractère ; il est avare et parle en avare ; par là il fait rire. Tel est le comique de Molière, aussi varié de formes qu’il y à de caractères, inhérent à ces caractères mêmes ; jaillissant non par saccades et d’une manière intermittente, mais à flots larges et continus, comme d’une source toujours ouverte. Étudiez d’autre part les phrases qui chez Beaumarchais amènent le rire ; elles sont toutes à peu près de même forme, courtes, serrées, ramassées sur elles-mêmes ; elles partent tout à coup, elles étonnent ; c’est comme un ressort qui se débande, comme un trait ; tel est en effet le nom qu’on a donné à ces sortes de phrases. Il n’y a pas de traits chez Molière ; il y en a chez Beaumarchais ; depuis lors nous en avons singulièrement usé. Le trait suppose un certain effort ; il est préparé, aiguisé, ; son premier mérite est l’imprévu ; à ce mérite on sacrifie parfois la justesse de l’idée. Almaviva dit à Figaro : « Je ne te reconnaissais pas, moi ; te voilà si gros et si gras. » Et Figaro répond : « Que voulez-vous, Monseigneur ? c’est la misère… » La misère engraisse-t-elle donc ? a-t-elle la réputation d’engraisser ? Non, et de toutes les réponses qui pouvaient être faites, c’est la dernière à laquelle nous nous attendions ? d’où surprise ; d’où rire. Mais en réfléchissant, l’esprit est-il satisfait ? Non. C’est un mot et rien de plus, une certaine flamme qui brille et qui passe, un pétillement. Nous aimons beaucoup aujourd’hui les mots ; nos auteurs