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REVUE PÉDAGOGIQUE

inquiétants. Figaro ne peut pardonner au grand seigneur d’avoir eu seulement la peine de naître, de tenir tout tandis qu’il n’a rien ; au moment où il s’incline le plus bas devant lui, il doit se sentir des envies de lui sauter à la gorge et de lui dire : « Donne-moi ta place ; je la mérite mieux que toi ; à mon tour de jouir. » Et en attendant, il se console avec son esprit, s’en fait un jeu et une arme, mêlant à ses flatteries force insolences auxquelles le grand seigneur, bon enfant et imprévoyant, applaudit parce qu’elles lui semblent drôles, qu’elles l’amusent, et parce qu’il n’en soupçonne pas le danger, croyant à la durée de ce qui dure déjà depuis si longtemps. Décidément, cette scène me fait trop penser pour m’être un repos, elle me préoccupe, elle me trouble. Molière est moins compliqué, il s’amuse des fais et des sots, il fustige les fourbes et les hypocrites ; il s’en prend moins encore aux hommes qu’à leurs travers ; dans l’avare, il raille l’avarice. « Vilain défaut, semble-t-il nous dire, défaut qui nous livre à la publique risée ; défiez-vous-en. » Le seul de ses grands personnages qui critique le train général des choses et attaque la société, prête tout le premier à la critique : il a des emportements, des accès de mauvaise humeur qui font rire de lui.

» Poursuivons, et dans ces deux mêmes pages cherchons à démêler la forme particulière du comique de l’un, puis de l’autre écrivain. Cette forme, chez Molière, n’a rien qui sente l’effort ; elle est simple, aisée, naturelle : chaque personnage parle comme il doit parler, selon son caractère. Maître Jacques est un brave homme qui n’entend pas malice aux choses et les dit comme il les voit : il fera faire bonne chère si on lui donne bien de l’argent ; de cette franchise toute droite, qui est son caractère, naît ici le rire. Valère est un rusé qui veut se faire bien venir d’Harpagon, il se garderait de le contredire, il est toujours de son avis, il en est, si l’on peut dire, plus que lui-même ; il prend ses sentiments et les exagère. Quand il s’écrie « : Voilà une belle merveille de faire bonne chère avec bien de l’argent… pour agir en habile homme, il faut parler de faire bonne chère avec peu d’argent », il est dans son rôle, nous y entrons avec lui et nous rions. Il y a