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A TRAVERS LES ÉCOLES

» Serrons plus encore, si nous le pouvons, ce rapprochement ; or, nous le pouvons, en sortant plus encore des généralités, en allant à ce qui est, à ce qui a corps et donne prise, aux textes, et, pour plus de facilité, à une partie de texte nettement délimitée sur laquelle nous concentrerons notre attention. Prenons d’abord une page de Molière, choisissons-la, si vous le voulez, dans une de ses pièces tristes, l’Avare ; car vous savez que de nos jours on a découvert de la tristesse chez Molière ; et n’y a-t-il pas toujours en effet de la tristesse dans les choses humaines ? tout dépend du côté par où on les considère. Harpagon cherche avec son intendant Valère et maître Jacques, son cuisinier, le menu du dîner qu’il veut offrir à celle qu’il aime. Comme nous nous amusons à le voir se débattre, cet Harpagon, entre les deux passions contradictoires qui le tiennent et se le disputent, l’amour et l’avarice, entre le désir de faire sa cour à Marianne et le regret, la peur de la dépense ! Soit qu’il se renfrogne en entendant maître Jacques demander de l’argent… de l’argent, toujours de l’argent, soit qu’il se déride aux belles maximes de son intendant, _ à celle-là surtout qu’il voudrait faire graver, lui, l’avare, en lettres d’or dans sa salle à manger, comme nous rions ! Et de quel bon rire, franc, large, épanoui, sain, qui repose et renouvelle, qui fait du bien ! Prenez maintenant une page de Beaumarchais, celle, sans plus chercher, qui se rencontrera dans votre recueil de morceaux choisis : Marcou, les Prosateurs, page 414 ; acte 1, scène II de la pièce ; Figaro et Almaviva se retrouvent… Vous riez aussi ; est-ce du même rire ? Certes, Figaro a des mots bien plaisants : mais comme ils sont mordants, agressifs ! Un ministre lui a retiré l’emploi qui le faisait vivre ; il n’a point réclamé, il s’est tenu coi, « persuadé, dit-il, qu’un grand nous fait assez de bien quand il ne nous fait pas de mal. > Plus loin, à celui qu’il a servi, il jette cette réplique : « Aux vertus qu’on exige dans un domestique, Votre Excellence connaît-elle beaucoup de maîtres qui fussent dignes d’être valets ? » Chez ce rieur il y a du fiel ; quoi d’étonnant à ce que son rire laisse après lui un goût d’amertume ! « Joyeuse colère », dit de lui Almaviva ; la joie est à la surface ; au fond est la colère et toute sorte de sentiments