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REVUE PÉDAGOGIQUE

idées et la manière de les exprimer. Celui-là, parmi la foule de ceux qui ont écrit, mérite d’être cité qui a exprimé des idées qui lui sont propres dans une forme qui lui est propre. Ne vous flattez pas de connaître un écrivain, de pouvoir le faire connaître à autrui, tant que vous n’aurez pas trouvé ce quelque chose de personnel et dans les idées et dans le style qui l’a mis hors de pair, qui le distingue… Trouver ce quelque chose de personnel ne vous paraît pas facile, j’en conviens. Essayons pourtant.

» Beaumarchais est un auteur comique ; mais avant lui dans votre cours d’histoire littéraire vous avez rencontré un auteur comique qui vous a certainement arrêté, que vous avez étudié avec soin, que vous connaissez bien, Molière : rapprochez Beaumarchais de Molière. Vous voilà forcé de sortir des généralités, amené à considérer votre auteur par un côté particulier ; tout de suite vos vues tendent à se préciser, grand avantage ! Molière, pris de bonne heure de la passion du théâtre, s’est donné tout entier au théâtre ; il en a vécu, on pourrait dire qu’il en est mort. Beaumarchais a fait du théâtre, pour prendre une expression d’aujourd’hui, comme il a fait bien d’autres choses ; il n’a écrit que deux pièces qui comptent, celles que vous avez nommées ; ce n’est pas moi qui vous reprocherai d’avoir passé sous silence Tarare, un opéra, la Mère coupable, un drame : enfin Beaumarchais n’a été auteur dramatique qu’à l’occasion, par besoin de mouvement et de bruit ; ce ne fut qu’un incident de plus dans cette vie féconde en incidents. Molière a embrassé dans son œuvre tout son temps, la cour. la ville, la province même ; que de figures et combien variées ! Un personnage, le même, a fait la fortune des deux comédies de Beaumarchais, Figaro. Et qu’est-ce que ce Figaro ? un valet. Il y, a aussi des valets chez Molière, des valets rusés, retors, et bien amusants, Scapin par exemple. Toutefois, en y regardant d’un peu près, vous devrez reconnaître que Figaro ne saurait être confondu avec Scapin. Figaro tient de son temps, la fin du xviiie siècle ; il tient de Beaumarchais lui-même. Vous touchez là à cette part d’idées personnelles, originales, que nous réclamions tout à l’heure de l’écrivain.