sa chère Bible ! Déjà deux ou trois fois, le capitaine a eu à défendre le pauvre enfant, dont les autres ont un peu de tendance à faire leur souffre-douleurs. Il ne prend pourtant pas un ton de sévérité et de rudesse. Il fait honte au petit dévot de ce qu’il rougit du nom honorable de Pfarrer, impliqué dans le diminutif Pfœffchen ; il remontre aux autres qu’il est mal de faire de ce nom respectable un objet de dérision ; il les assure qu’on n’en est pas plus mauvais militaire parce qu’on lit la Bible, et en tout cas ilentend que, sur ce sujet, chacun soit laissé tranquille : tout cela sans hausser le ton, avec patience, avec sobriété dans le discours, sans l’ombre de pédantisme. Les enfants s’en vont l’air confus ; ils ne recommenceront pas. Le pédagogue, si doux et si mesuré, qui les a remis dans l’ordre, est soldat de la tête aux pieds. Il a près de vingt ans de service. Il a fait la guerre de France. Il était du corps et il est de l’école de Manstein, qui fut peut-être le plus rude à la fatigue et le plus exigeant pour les officiers et pour la troupe entre les généraux prussiens de l’an 1870.
» C’est pour ce capitaine, le baron von L…, qu’on m’a donné des lettres à Francfort. Il veut bien me servir de guide dans une visite à l’établissement…
» Je n’ai pas l’intention, vous le pensez bien, de descendre dans le détail des matières d’enseignement ni dans celui de la distribution des heures d’étude et de classe. Je veux seulement signaler un point de pédagogie sage, original, admirable, dont tous les internats d’éducation pourraient faire leur profit. Cinq ou six fois par mois, et plus, en dehors du dimanche et des heures ordinaires de récréation et de promenade, pendant trois et quatre heures de l’après-midi, les cadets, tous les cadets, les plus petits comme les plus grands, sont laissés libres de se livrer à l’occupation qui leur plaît. Si même ils préfèrent ne pas s’occuper du tout, ils le peuvent. Ce dernier cas se présente rarement. Quelques-uns d’entre eux s’en vont bien d’abord s’ébattre sur la pelouse, devant le château, ou y rêver, étendus patulæ sub tegmine fagi ! Ils finissent toujours par se mettre à un travail ou à un exercice quelconque. L’un se lance à plein corps dans la gymnastique ; un autre se fait apporter des cartes de géographie, les lit et les dessine. Celui-ci dévore un livre d’histoire ; celui-là s’en va au cabinet de physique ; les plus avancés en âge demandent à la bibliothèque de l’établissement quelque ouvrage à leur portée sur l’art militaire ou la description des guerres. J’ai vu un bambin de douze ans, enfoncé dans la botanique, science qui n’a pas beaucoup de rapports avec la tactique et la stratégie. Il avait formé le projet de mettre dans son herbier toute la flore du Nassau. À Oranienstein, d’ailleurs, on ne réunit pas les élèves par cinquante ou par vingt dans les salles d’étude. Chaque groupe de trois, quatre ou cinq cadets, selon l’âge, possède à sa disposition une pièce à part ; chaque élève du groupe a dans cette pièce sa table à lui,