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REVUE PÉDAGOGIQUE

ces maîtres se mêlant au jeu des enfants, sous l’apparence de l’abandon quelle tristesse ! quel douloureux sentiment de pitié ! quelle défiance ! Ainsi ce charme de l’enfant, cette puissance communicative de pureté qui sanctifie la famille, qui rend presque toujours la maison plus douce et les parents meilleurs, cette innocence qui, sans le savoir, impose le respect et conseille la vertu, cette influence éducatrice qu’a l’enfant sur ceux qui l’élèvent, toutes ces choses douces et saines qu’a chantées le poète de notre siècle, Saint-Cyran ne les voyait pas ; ou bien, les voyant, il s’en détourait, il s’en défiait. Il a dans son œuvre d’éducation un amour ardent, non pour les enfants qu’il élève, mais pour Jésus-Christ qu’ils portent en eux. Il lui manque. l’humain et glorieux désintéressement des tendresses paternelles.

Mais, une fois ces réserves faites, et si, nous détournant du principe, nous considérons les applications, quelle hauteur de vues dans cette manière de concevoir l’éducation ! Comment ne pas admirer ce respect profond de la personne humaine et particulièrement de l’âme de l’enfant, ce saint tremblement en présence de cette énigme, l’enfant, qui peut devenir un saint ou un démon, cette charité qui le dispute avec une sollicitude incessante à tous ses mauvais penchants, ce sentiment profond de la terrible responsabilité qui pèse sur quiconque a charge d’âmes, et, pour tout résumer en un mot, cette haute estime pour la fonction d’éducation, qu’on regarde comme la plus digne des hommes les plus distingués ! Que de vues sages et pratiques sur la manière dont on doit se comporter à l’égard des enfants ! Et ce maître qui, après avoir tout essayé vainement, se tourne vers Dieu et l’invoque, se demandant si son insuccès n’est pas le résultat de son inexpérience où même la punition de ses propres fautes ; ce maître, indulgent pour l’élève et sévère pour lui-même, ne commande-t-il pas le respect ? C’est par là que Port-Royal vit toujours : c’est par là que les écrits sortis de cette maison d’honnêtes gens et de professeurs dévoués ne peuvent laisser indifférent quiconque touche avec une noble inquiétude à cette œuvre de l’éducation et en sent peser sur lui la redoutable responsabilité.