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REVUE PÉDAGOGIQUE

ger les femmes en hommes, et, pour faire entrer dans le ménage plus de force, n’allons pas en faire sortir la douceur et la grâce. Nous ne sommes plus au temps où l’on se demandait si la femme a une âme, ni si l’âme de la femme ne diffère pas de celle de l’homme. Ce qui est incontestable, c’est que ni leur destination n’est la même, ni leur nature. Or le but de l’éducation, c’est le perfectionnement dans l’ordre de la nature. Fortifions donc dans la femme la raison, qui est le bien commun, mais sans porter atteinte aux dons qui lui sont propres. Toutes ses faiblesses ne sont pas des défauts, pas plus que nos énergies ne sont toutes des vertus. Moins riche que l’homme en qualités acquises, la femme l’emporte par les qualités natives, ce que Montaigne appelle les qualités de prime-saut. Son instinct la guide parfois aussi heureusement que la plus rigoureuse logique ; tandis que nous discourons, elle observe : le grand livre du monde lui est familier ; elle devine, elle démêle, elle pénètre ; c’est, dans le détail des choses de l’âme, un merveilleux psychologue. Sa volonté, moins fortement trempée que celle de l’homme, conçoit, quand il le faut, les résolutions les plus vaillantes, les résolutions du sacrifice ; où nous nous décidons par raison, elle écoute son cœur, el la tendresse n’a pas de source plus profonde, le dévouement de plus complet abandon. Sa sensibilité exquise vibre à tous les souffles : mobile, passionnée, ne craignant, n’espérant jamais à demi, elle ressent tour à tour et réfléchit admirablement les émotions diverses. Au bon sens le plus solide elle sait allier les grâces légères. Dans tout ce qui demande du tact, du goût, moins d’application que de génie, l’oubli ou le don de soi-même, — dans la conversation, la correspondance, la critique, — des juges difficiles ne lui reconnaissent pas de supérieur. Elle a la finesse, l’élan, le charme. Ce sont là des richesses incomparables, dont il n’est besoin que de diriger et


    prenait de se faire seller et brider pour me porter à la campagne, je serais aussi peu content de lui que je le serais du cheval anglais de ton frère, s’il s’avisait de sauter sur mes genoux ou de prendre le café avec moi. L’erreur de certaines femmes est d’imaginer que, pour être distinguées, elles doivent l’être à la manière des hommes. Il n’y a rien de plus faux… La femme ne peut être supérieure que comme femme ; mais dès qu’elle veut émuler l’homme, ce n’est qu’un singe. Adieu, petit singe. Je t’aime presque autant que Biribi, qui a cependant une réputation immense à Saint-Pétersbourg. » (Lettres, 1808.)