Page:Revue pédagogique, second semestre, 1882.djvu/559

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
551
DE L’ÉDUCATION DES FILLES

sitaires de jeter tous les esprits dans le même moule. Michelet s’en est plaint éloquemment plus d’une fois. Il est bon de ne pas soumettre les jeunes filles à cette uniformité absolue[1]. Nous ne voyons non plus aucun inconvénient à substituer dans cette période le cours à la classe, c’est-à-dire une forme d’enseignement qui, sans cesser d’être réglée, donne à l’élève plus d’aisance. On ne peut guère se le dissimuler : à partir de quinze ans, la jeune fille commence à appartenir à la vie intérieure de la famille, aux soins du ménage, en même temps qu’aux relations du monde[2]. Le moment est venu pour elle, d’ailleurs, de développer la pratique des langues vivantes[3], et de favoriser la culture des arts. Comment oublier, enfin, que, si l’on veut que cette éducation sérieuse profite et plaise, — et elle ne peut profiter qu’en plaisant, — c’est à la condition de ne pas trop peser.

Une institution d’un caractère si nouveau et si délicat n’entrera dans les mœurs qu’à la condition d y être introduite avec une fermeté de vues tempérée par la sagesse. Suivant un dicton anglais, rien n’est impossible au Parlement, sauf de changer un homme en femme[4]. Gardons-nous de paraître vouloir chan-

  1. Ce principe est suivi à l’école de Genève. « Les élèves régulières de deuxième année de la division supérieure ne sont astreintes qu’à un minimum de quinze heures par semaine au lieu de vingt-trois. Elles pourront compléter ces quinze heures par d’autres leçons du même programme laissées à leur choix. » Arrêté du Conseil d’État, 9 octobre 1877.
  2. Parmi les 10 768 jeunes filles qui, au 1er janvier 1882, composaient l’effectif des pensionnats du département de la Seine, 779 seulement avaient plus de 16 ans. Les autres se répartissaient ainsi :
    De moins de 6 ans………1 048 ;    de 10 à 13 ans……3 194
    De 6 à 10 ans……………3 338 ;    de 13 à 16 ans……2 409
  3. M. Dreyfus-Brisac remarque avec raison que, dans presque tous les pays d’Europe et d’Amérique, les jeunes filles connaissent deux langues étrangères et souvent trois : le français, l’anglais ou l’allemand et l’italien. (L’Éducation nouvelle, p. 114.) — La loi du 21 décembre 1880 dit : « Une langue vivante au moins » ; l’arrêté du 14 janvier 1882 en indique deux {l’anglais ou l’allemand) en laissant le choix. « Chaque élève, dit M. Marion dans son Rapport, pourra apprendre deux ou plusieurs langues, mais successivement, plutôt qu’à la fois. »
  4. « Les femmes ne sont nullement condamnées à la médiocrité, écrit avec beaucoup de sens et d’enjouement J. de Maistre à sa fille ; elles peuvent même prétendre au sublime, mais au sublime féminin. Chaque être doit se tenir à sa place et ne pas affecter d’autres perfections que celles qui lui appartiennent. Je possède ici un chien nommé Biribs, qui fait notre joie ; si la fantaisie lui