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REVUE PÉDAGOGIQUE

Grave et simple idéal de vie auquel elles rapportent toute leur éducation et qui en marque le caractère.

Certes, nous l’avons vu, ce n’est pas l’ampleur qui manque aux programmes tracés par les femmes du dix-huitième siècle pour l’éducation des femmes. Cependant, la variété des connaissances n’est point le but auquel elles s’attachent. Au-dessus de l’étendue du savoir elles placent la rectitude et la fermeté de la raison. Le premier précepte de Fénelon, c’est qu’on ne saurait parler raison aux enfants ni trop tôt ni trop souvent. La raison est la règle de Saint-Cyr. À ce sujet, Mme de Maintenon est intarissable ; elle a des expansions de raison ; c’est la forme de sa sensibilité. Ce que Mme de Lambert recommande par-dessus tout à sa fille, c’est de « vivre en société avec sa raison ». Mme d’Épinay ne pense pas autrement que Mme Guizot[1]. Pour atteindre ce fond de l’esprit, on compte moins sur l’enseignement lui-même que sur la lecture et la réflexion. Quand Mme de Sévigné a le bonheur d’aller s’enfermer pendant une semaine dans le couvent d’Aix avec Marie-Blanche, elle passe « tout le jour à converser avec elle pour lui façonner et lui nourrir l’esprit ». Mme Geoffrin déclare que ç’a été là presque toute son éducation : dans son enfance, sa grand’mère ne lui a appris qu’à lire ; mais elle la faisait lire beaucoup et raisonner sur tout ce qu’elle avait lu. Bien plus, on s’apitoie sur le sort de ces filles trop livresquement élevées, suivant le mot de Montaigne, qui, rassasiées de ce qu’elles ont appris, sans désir d’apprendre ce qu’elles ignorent, n’ont plus d’activité que pour feuilleter des romans et s’y perdre, ou pour faire de la tapisserie. On veut des intelligences exercées et libres. La trop grande dispersion de l’esprit inquiète les femmes les plus jalouses de la distinction de leur sexe. Mme de Staël n’admet pas qu’on mette en balance « le développement d’une faculté et l’acquisition de quelques connaissances de plus ». Sur les quatorze heures d’occupation que comporte la journée active d’une jeune fille dans le plan qu’elle a dressé, Mme Necker n’en donne que quatre au travail proprement dit ; le reste est partagé entre le repos, la culture des arts, les

  1. « Les femmes auraient besoin, dit Mme Guizot, qu’on leur parlât raison de bonne heure. »