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DE L’ÉDUCATION DES FILLES

tout, il ne s’agit que de l’organiser. » Entraînement sincère d’une logique étroite ou boutade de misanthropie, on ne peut pousser plus loin le mépris de la personnalité humaine[1].

Entre ces deux extrêmes se placent les pédagogues et les philosophes qui, ayant vraiment le souci de la dignité de la femme, repoussent également une assimilation chimérique et une injuste et disgracieuse subordination. Élever la femme pour elle-même, la préparer à élever ses enfants, en faire la compagne intellectuelle de son mari, la mettre en état de le suppléer dans la direction de la famille, tel est l’objet qu’ils se proposent. Talleyrand[2], Romme et Condorcet[3] ne font presque, sur ce point, que reproduire les observations de Fénelon[4], de l’abbé de Saint-Pierre[5] et de Rollin[6]. C’est dans la famille qu’ils travaillent à constituer à la femme sa place. S’ils ne lui interdisent aucune des professions qu’elle peut exercer en concurrence

  1. Voir l’étude pénétrante et piquante sur la Vie et les Opinions de Schopenhauer, placée par M. J. Bourdeau en tête de sa traduction.
  2. » Le but de toutes les institutions, dit Talleyrand, doit être le bonheur du plus grand nombre. Tout ce qui s’en écarte est une erreur, tout ce qui y conduit, une vérité. Si l’exclusion des emplois publics prononcée contre les femmes est pour les deux sexes un moyen d’augmenter la somme de leur bonheur mutuel, c’est dès lors une loi que toutes les sociétés ont dû reconnaître et consacrer. Toute autre ambition serait un renversement des destinations premières ; et les femmes n’auraient jamais intérêt à changer la délégation qu’elles ont reçue. Il me semble incontestable que le bonheur sérieux, surtout celui des femmes, demande qu’elles n’aspirent point à l’exercice des droits… Loin du tumulte des affaires, ah ! sans doute, il reste aux femmes un beau partage dans la vie !… S’il était encore quelques femmes que le hasard de leur éducation ou de leurs talents pût appeler à l’existence d’un homme, elles doivent en faire le sacrifice au bonheur du grand nombre, se montrer au-dessus de leur sexe en le jugeant, en lui marquant sa véritable place, et ne pas demander qu’en livrant les femmes aux mêmes études que nous, on les sacrifie toutes pour avoir peut-être dans un siècle quelques hommes de plus… »
  3. Voir Condorcet, Éducation des Femmes, et Romme, Rapport à la Convention. Ces deux documents ont été réimprimés récemment dans un recueil publié par M. Hippeau sous ce titre : L’Instruction publique en France pendant la Révolution ; Paris, 1881.
  4. De l’Éducation des filles, chap. xi.
  5. Projet pour perfectionner l’éducation des filles, préface et premier discours.
  6. Traité des Études, ii.