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DE L’ÉDUCATION DES FILLES

violemment la petite-fille de Sophie au plaisir ou à la domesticité[1].

Ces divers arguments viennent d’être repris, en Angleterre et en Allemagne, par M. Stuart Mill et par Schopenhauer, avec une autorité et une originalité de vues qui ont, pour ainsi dire, renouvelé la question.

  1. Si, dans une revue générale des opinions sur l’égalité des sexes devant l’éducation, il serait difficile de donner une place à la doctrine des Saint-Simoniens, on ne peut cependant passer sous silence leur rêve généreux et les aberrations étranges qu’il a enfantées. Les Saint-Simoniens n’ont jamais traité de l’éducation de la femme au sens pédagogique du mot. Ils ont seulement cherché à déterminer sa fonction dans la société qu’ils se proposaient de fonder. Voici comment ils la définissaient, à l’origine, en termes assez vagues, dans l’introduction des Conférences de 1829 (p. 28 de la 2e édition publiée en 1830) : « Il nous fallait découvrir quelle a été l’influence constante des femmes sur l’adoucissement de nos mœurs, et à quelle élévation morale, d’esclaves avilies qu’elles étaient, elles sont parvenues ; il nous fallait, surtout, faire sentir le sort que leur réserve un avenir qui, après les avoir complètement affranchies du joug barbare que des passions brutales leur ont imposé, reconnaîtra en elles le type de cette puissance sympathique qui excita d’abord l’horreur pour les sacrifices humains, brisa plus tard les chaînes de l’esclave et prononça enfin ce mot sublime de philanthropie. » En 1829, trois conférences (9o, 10o, 11e) sur dix-sept furent consacrées à l’éducation, mais à l’éducation générale. Ce qui en ressort, c’est que, pour les Saint-Simoniens, l’éducation est le moyen « d’inspirer à tous les hommes, de développer, de cultiver en eux les sentiments, les connaissances, les habitudes, qui doivent les rendre dignes d’être les membres d’une société aimante, ordonnée et forte, de préparer chacun d’eux, selon sa vocation, à lui apporter son tribut d’amour, d’intelligence et de force ». Le développement de ce principe les amène, dès 1830, quelques jours avant la révolution de Juillet, à proclamer que la femme est le type de la perfection saint-simonienne, parce qu’elle « sait se faire obéir en se faisant aimer ». La femme est ainsi élevée au même rang que l’homme. « L’homme et la femme, dit Enfantin, voilà l’individu social ; l’ordre moral nouveau appelle les femmes à une vie nouvelle. Il faut que la femme nous révèle tout ce qu’elle sent, tout ce qu’elle désire, tout ce qu’elle veut pour l’avenir. Tout homme qui prétendrait imposer une loi à la femme n’est pas Saint-Simonien, et la seule position du Saint-Simonien à l’égard de la femme, c’est de déclarer son incompétence à ce sujet. » Enfantin, grand-prêtre du saint-simonisme, imagine alors le couple prêtre, et laisse à côté de son fauteuil un fauteuil vide pour la femme. L’individu social, composé du couple de l’homme et de la femme, est la base de la société. Au couple prêtre appartient de discerner les capacités et d’assigner les rôles. La fonction propre de la femme prêtresse est d’éveiller les vocations par l’impulsion sympathique, sa sympathie pouvant et devant se porter partout où la loi d’amour l’appelle. De là le monstrueux idéal de la femme libre. C’est ainsi qu’en voulant, au moins dans la première donnée de leur système, relever la femme, les Saint-Simoniens n’aboutissaient qu’à la dégrader.